Quotidienne

Réoccuper et recoloniser Gaza ? #21

Sylvain Cypel, journaliste

Éminent connaisseur du Proche-Orient, ancien directeur de la rédaction de Courrier international et auteur entre autres de L’État d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel apporte chaque jour pour le 1 hebdo son regard et ses analyses, pour mieux comprendre ce qui se joue dans la guerre actuelle au Proche-Orient.

Réoccuper et recoloniser Gaza ? #21
Illustration Stéphane Trapier

Biden confirme avoir expressément demandé à Benjamin Netanyahou de procéder à une « pause » dans l’offensive israélienne pour des motifs humanitaires. Le Premier ministre israélien a refusé : sans libération des otages, a-t-il répondu, aucune pause n’interviendra. Jusqu’ici, le sort des otages était entre les mains du Hamas. Désormais, il est aussi entre celles d’Israël.

Hier, Yoav Gallant, ministre de la Défense israélien, a de nouveau demandé aux Gazaouis restés au nord de Gaza de quitter leur appartement pour se réfugier au sud de la bande. Il précise par ailleurs qu’une fois la guerre terminée, l’armée israélienne conservera une « complète liberté d’action dans Gaza ». Puis il ajoute que dans le futur « ni le Hamas ni Israël » ne gouverneront Gaza. On n’est pas certain d’avoir compris. Imagine-t-il une bande palestinienne « non occupée » formellement par Israël mais où l’armée israélienne pourrait agir en « complète liberté » ? Netanyahou a d’ailleurs confirmé cette solution de « sortie de crise », comme on dit dans les chancelleries. À l’issue de la guerre, Israël prendra « la responsabilité générale de la sécurité pour une période illimitée », a-t-il assuré. Mais, promis juré, ce ne sera pas une nouvelle occupation militaire de Gaza, puisqu’elle ne sera pas définitive, seulement illimitée.

En Israël, la mouvance coloniale d’extrême droite envisage déjà ouvertement la récupération de la bande de Gaza.

Depuis 2005, les Gazaouis étaient enfermés derrière cette « muraille » supposée infranchissable que le Hamas a réduite à néant le 7 octobre. Bientôt, ils seront libérés du Hamas et directement contrôlés sur leur propre territoire par l’armée israélienne. Et cela se passera bien, évidemment. Les Palestiniens seront d’accord, et sinon tant pis pour eux, ils l’auront bien cherché. On note, au passage, qu’après la déclaration de Netanyahou, Washington a dit s’« opposer à une réoccupation » israélienne de Gaza. Seulement on se prend à douter non pas des moyens qu’ont les États-Unis d’imposer à Israël leurs volontés – ils les ont – , mais, précisément, de leur désir de le faire aujourd’hui.

Pendant ce temps, en Israël, la mouvance coloniale d’extrême droite envisage déjà ouvertement la récupération de la bande de Gaza. En 2005, Ariel Sharon, alors Premier ministre, avait ordonné l’évacuation des colonies israéliennes de Gaza. Motif : il fallait 60 000 soldats pour protéger 8 000 civils israéliens, et encore, la moitié seulement vivaient réellement à Gaza, les autres y avaient acquis un appartement sans y résider. L’armée israélienne n’en pouvait plus. Et le coût de l’occupation était exorbitant. Aujourd’hui, le parti de la colonisation a la solution : il faut créer… beaucoup plus de colonies à Gaza qu’il n’y en avait avant 2005. Des membres du Likoud, colonne vertébrale de la coalition gouvernementale, ont présenté une motion demandant l’annulation de la « loi du désengagement », votée à l’époque, qui empêchait les colons de continuer à vivre à Gaza. Mais comment recoloniser ? Ce sera facile, il suffit d’interdire aux Palestiniens qui ont été repoussés vers le sud de la bande de Gaza de rentrer chez eux. D’ailleurs, souvent, leurs maisons n’existent déjà plus, transformées en gravats. Pourquoi reviendraient-ils ?

En Israël, ceux qui craignent ces dérives funestes n’ont plus qu’un espoir : que Joe Biden dise enfin « stop ».

Un membre du PSR (le Parti sioniste religieux), Simcha Rothman, déclare : « Nos soldats ne doivent pas avoir versé leur sang pour que Gaza soit rendu à l’Autorité palestinienne enrobé d’un ruban. » Méir Dena-Picar, créateur de la page Facebook « HaBayit – Return to the Gaza Strip » (« La maison : retour dans la bande de Gaza »), propose d’« éliminer le problème : réoccuper Gaza, détruire les tunnels de la cité terroriste et les camps de réfugiés, et expulser toute la population vers le sud ». On dira que ces gens ne représentent rien. On aurait tort. Non seulement leur influence est de plus en plus importante, non seulement ils disposent aujourd’hui de moyens politiques et financiers importants, mais, le jour où la guerre sera terminée, Netanyahou aura toujours besoin de leur soutien pour se dépêtrer des poursuites judiciaires dont il fait l’objet.

En Israël, ceux qui craignent ces dérives funestes n’ont plus qu’un espoir : que Joe Biden dise enfin « stop ». Le 19 mai 2021, lors de la précédente « guerre » à Gaza, Joe Biden, qui n’était entré à la Maison-Blanche que quatre mois plus tôt, avait su dire à Netanyahou des mots suffisamment convaincants pour qu’un cessez-le-feu soit signé le surlendemain avec le Hamas.

08 november 2023
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