Quotidienne

Jabalia, ville fantôme #14

Sylvain Cypel, journaliste

Éminent connaisseur du Proche-Orient, ancien directeur de la rédaction de Courrier international et auteur entre autres de L’État d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel apporte chaque jour pour le 1 hebdo son regard et ses analyses, pour mieux comprendre ce qui se joue dans la guerre actuelle au Proche-Orient.

Jabalia, ville fantôme #14
Illustration Stéphane Trapier

Hier, j’évoquais le travail de Conversation locale, un journal d’information en ligne unique en son genre, qui compte, à parité, autant de journalistes juifs israéliens que de palestiniens. L’actualité fait que j’y reviens aujourd’hui. Ce matin, en effet, le site a publié un premier reportage à Jabalia, une importante bourgade du nord de Gaza qui abrite aussi le plus grand camp de réfugiés de toute la bande. Le reportage est signé par Ibrahim Mohammad, un pigiste local qui collabore au journal en ligne israélien. Il est titré : « Le plus grand camp de réfugiés a été transformé en une ville-fantôme ».

L’article décrit la dimension des ravages, physiques et humains, suscités par ces bombardements, les bâtiments d’habitation détruits en très grande quantité, les conséquences pour les habitants. Il ne le spécifie pas, mais, des témoignages recueillis, il ressort que les bombardements ont eu plus particulièrement pour cible le camp de réfugiés devenu un quartier de la ville. La description du grand marché du camp de Jabalia, entièrement détruit, par exemple. C’était l’un des plus courus du nord de Gaza. Réduit à un champ de ruines, il n’en reste rien. Lorsqu’il y est entré, raconte Ahmad Matar, 29 ans, les corps jonchaient l’asphalte. Il lui était impossible de reconnaître où se trouvait l’échoppe où travaillait son frère Bilal. Il a fini par retrouver son corps : il était calciné. Yousri Khalil, 43 ans, déclare : « Le quartier où je vis est devenu une ville fantôme. J’ai eu de la chance de survivre. » Tous les témoignages de Gazaouis de Jabalia interrogés abondent dans le même sens. Comme le dit Ahmad Matar : « Ce qui se passe à Gaza est sans précédent. Ce n’est pas comparable aux autres guerres qu’a menées Israël contre notre enclave depuis dix-sept ans. »

Aucun endroit n’est désormais sûr dans Gaza

Yasser Al-Kurdi, 46 ans, y a perdu un fils. Il s’est aujourd’hui réfugié dans une école de l’UNRWA, l’agence onusienne qui s’occupe des réfugiés palestiniens. Comme d’autres, il affirme qu’aucun endroit n’est désormais sûr dans Gaza. Youssef Al-Nadi, 43 ans, a accueilli chez lui une vingtaine de proches ayant perdu leur habitat. Il explique pourquoi, pas plus que ses hôtes, il n’a obéi à l’ordre d’évacuation vers le sud préalablement lancé par l’armée israélienne. Il n’y avait plus une goutte d’essence dans les environs. Avec femmes, vieillards et enfants, ils n’allaient pas partir à pied sur les routes. À l’inverse, Rachid Al-Balbissi, 67 ans, avait quitté ses pénates avec sa femme dans un petit pick-up. Il est resté « quelques jours » dans le sud de la bande, avant… de revenir dans le camp de Jabalia. « Les bombardements au sud étaient aussi intenses, tout comme le manque d’eau et d’électricité. » À quoi bon rester ? dit-il.

Jabalia est aujourd’hui une ville de 416 000 habitants. Elle est aux trois quarts composée de réfugiés et surtout d’enfants et petits-enfants de réfugiés de la guerre qui, avant puis après la création de l’État d’Israël, le 15 mai 1948, a vu partir – expulsés manu militari ou fuyant l’avancée des troupes juives (puis israéliennes) – plus de 85 % des Palestiniens qui vivaient sur le territoire devenu celui de l’État d’Israël. Comme dans la plupart des camps de réfugiés, une grande partie d’entre eux sont parvenus à quitter leurs abris de fortune. 116 000 y vivaient encore.

27 octobre 2023
Retour

Nous vous proposons une alternative à l'acceptation des cookies (à l'exception de ceux indispensables au fonctionnement du site) afin de soutenir notre rédaction indépendante dans sa mission de vous informer chaque semaine.

Se connecter S’abonner Accepter et continuer