Quotidienne

La chaîne de télé qui fixe l’agenda #12

Sylvain Cypel, journaliste

Éminent connaisseur du Proche-Orient, ancien directeur de la rédaction de Courrier international et auteur entre autres de L’État d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel apporte chaque jour pour le 1 hebdo son regard et ses analyses, pour mieux comprendre ce qui se joue dans la guerre actuelle au Proche-Orient.

L’extrême droite israélienne dispose de nombreux médias, parmi lesquels l’un des plus anciens est Arutz Sheva, la chaîne de radio numéro 7, organe officieux des colons de la frange religieuse la plus radicale. Mais le média de cette fraction le plus connu du grand public israélien aujourd’hui, et aussi le plus prisé des téléspectateurs, est Channel 14, une chaîne d’information en continu qui regroupe, elle aussi, les tenants de la mouvance « sioniste-religieuse » et un très grand nombre des soutiens de Benjamin Netanyahou. Bref, quelque chose d’assez proche de la française CNews, la chaîne de Vincent Bolloré, qui ratisse large, des soutiens d’Éric Zemmour aux Républicains partisans d’Éric Ciotti – à cette nuance près qu’Arutz Sheva recueille un taux de téléspectateurs beaucoup plus massif, les dernières élections ayant offert à la mouvance coloniale et raciste un succès spectaculaire, et des postes de choix au gouvernement.

Conséquence, sur Channel 14, les partisans de Netanyahou sont les plus nombreux, mais ce sont ceux d’Itamar Ben-Gvir et de Bezalel Smotrich – les deux leaders (concurrents) de l’extrême droite religieuse coloniale – qui dictent l’agenda. Qu’on regarde les « débats » permanents sur Channel 14 à 7 heures du matin, à 16 heures ou à 23 heures, la tonalité est toujours la même : pas seulement « en finir » avec le Hamas, mais, tout bonnement, avec les Palestiniens.

Certains se réjouissent du soutien sans faille de l’administration Biden. D’autres s’inquiètent des lendemains

Nous en avons fait l’expérience ce mercredi 25 octobre, vers 14 heures (le site est gratuitement accessible sur Internet, il suffit de googliser : « Israël Channel 14 Live »). On ne citera pas la totalité du débat auquel on a assisté. On se contentera de restituer une altercation entre deux protagonistes. Le premier, Moti Keidar, orientaliste à l’université Bar-Ilan, près de Tel-Aviv, explique qu’il faut éradiquer tous les membres des brigades armées du Hamas, jusqu’au dernier. Mais, ajoute-t-il, « il ne faut pas confondre les forces armées du Hamas avec les partisans du Hamas ». Car, au moins dans le conflit actuel, il est certain que la population de Gaza soutient majoritairement le Hamas. Et de suggérer qu’exterminer plus de la moitié de la population gazaouie (2,3 millions d’êtres) ne servirait pas forcément les intérêts d’Israël.

Immédiatement, un de ses interlocuteurs bondit. Il se nomme Gabi Simoni, il est colonel de réserve. « Vous ne respectez pas les décisions du gouvernement, lui lance-t-il. Le gouvernement a décidé de détruire le Hamas, tout le Hamas, vous comprenez ? Il s’agit de tout détruire, tous les ministères, toutes les administrations, toutes les écoles et tous ceux qui y travaillent. Il faut que le Hamas soit totalement à terre. La vraie guerre n’a pas encore commencé ! » On peut entendre fréquemment, sur Channel 14, des propos beaucoup plus crus encore, plus clairs aussi. Des appels à expulser tous les Palestiniens (« il n’y a pas d’autre solution ! »), à soutenir les meurtres commis par les colons…

Peu après, le débat passe à la relation avec les États-Unis. Certains se réjouissent du soutien sans faille de l’administration Biden. D’autres s’inquiètent des lendemains. Washington pousse Israël, une fois la guerre terminée, à renouer les pourparlers avec l’Autorité palestinienne. Le ton général est à la « résistance ». Ces idiots d’Américains sont décidément incorrigibles ! Ils ne comprennent rien. Le même colonel Simoni s’en étrangle : « Revenir aux négociations ? Il faut dire aux Américains qu’il n’en est pas question. » Il ne dit pas qu’il faut tenir jusqu’au retour de Donald Trump au pouvoir, dans à peine plus d’un an, mais, en Israël, c’est aujourd’hui une idée très en vogue.

25 octobre 2023
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