Quotidienne

Quelle « fin de partie » pour Netanyahou ? #16

Sylvain Cypel, journaliste

Éminent connaisseur du Proche-Orient, ancien directeur de la rédaction de Courrier international et auteur entre autres de L’État d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel apporte chaque jour pour le 1 hebdo son regard et ses analyses, pour mieux comprendre ce qui se joue dans la guerre actuelle au Proche-Orient.

Quelle « fin de partie » pour Netanyahou ? #16
Illustration Stéphane Trapier

Mardi matin, l’un des chroniqueurs israéliens les plus connus, Anshel Pfeffer, posait la question : « C’est quoi la fin de la partie à Gaza ? » Pour le moment, Benjamin Netanyahou se tait. Il l’a dit clairement ce dernier week-end : une fois la guerre finie, il répondra à « toutes les questions », jusqu’aux plus difficiles. Mais tant qu’elle dure, il n’apportera aucune réponse. Si l’on était cynique, on dirait que Netanyahou n’a aucun intérêt à achever cette guerre, tant il sait que ses adversaires, en Israël, se préparent déjà à exiger son départ immédiat dans l’heure qui suivra la fin des combats.

Netanyahou est aux abois. D’autant que s’il est un homme qui semble n’avoir aucune idée de la « fin de partie » à Gaza, c’est bien lui.

La bataille a déjà commencé la semaine dernière. Le 28 octobre, Netanyahou a publiquement nié avoir été averti – en particulier par les renseignements égyptiens –, d’une proche attaque du Hamas avant le fatidique 7 octobre. Il l’a fait pour mieux accuser les chefs des divers services de renseignement israéliens d’être responsables de cette grave faillite. Le lendemain – fait proprement inouï sous le règne de Netanyahou –, le Premier ministre s’excusait sur X (ex-Twitter), assurant les militaires de toute sa confiance… sans pour autant infirmer ses propos quant à sa méconnaissance avant le 7 octobre d’un possible assaut du Hamas.

Bref, Netanyahou est aux abois. D’autant que s’il est un homme qui semble n’avoir aucune idée de la « fin de partie » à Gaza, c’est bien lui. Le seul objectif présenté au peuple consiste à « éradiquer le Hamas ». Sans préciser où, exactement, s’arrêtent les limites du Hamas : aux membres de sa branche militaire ? aux adhérents du parti ? aux sympathisants ? à la population, femmes, enfants et vieillards compris, comme le veut la fameuse « doctrine Dahiya » de l’armée israélienne [lire notre chronique no7] ? Mais si la guerre, conformément à l’adage de Clausewitz, est une « continuation de la politique par d’autres moyens », quel est le projet que porte à ce niveau la guerre actuelle ?

Pfeffer pose trois questions. Assumant qu’Israël ne prépare ni une expulsion générale de la population de Gaza ni un rétablissement de son occupation militaire sur le terrain, comme c’était le cas avant 2006 (deux assomptions plausibles, mais les hypothèses inverses ne sont pas totalement à exclure) :

1) Comment Israël maintiendra-t-il son contrôle sur ce territoire une fois les infrastructures du Hamas détruites ?

2) À qui Israël transférera-t-il son contrôle une fois ses troupes sorties de Gaza ?

3) Existe-t-il un plan réaliste pour l’avenir de Gaza qui l’empêcherait de se transformer à nouveau en base d’attaque contre Israël ?

La vraie question, qu’il serait temps de se poser, est de savoir s’il y a une sortie politique de cette guerre.

Ce sont des questions effectivement « réalistes », du point de vue israélien, et difficiles. Mais de fait, Pfeffer ne va pas non plus au bout de son raisonnement. Car lui-même, dans ses interrogations, ne s’attarde que sur les enjeux sécuritaires auxquels sera confronté Israël dans l’avenir, lorsque sa guerre sera terminée. La vraie question, qu’il serait temps de se poser, est de savoir s’il y a une sortie politique de cette guerre. Netanyahou, et avec lui la grande majorité des députés israéliens, dans son camp tout comme dans l’opposition, ont-ils en tête une « fin de partie » non pas pour cette guerre-ci, mais pour le conflit israélo-palestinien ? Rien à ce jour ne prouve que la réponse soit positive.

S’agit-il de revenir, peu ou prou, au statu quo ante, mais en pire ? S’agit-il donc de maintenir la population palestinienne de Gaza enfermée derrière des murs sur une terre atrocement dévastée et dans des conditions de précarité épouvantables ; de laisser les Palestiniens de Cisjordanie enfermés, eux aussi, sans aucun droit derrière d’autres murs – tous ces murs que l’on aura auparavant renforcés pour qu’ils soient, cette fois, « définitivement » infranchissables ; et enfin de conserver pour la population palestinienne citoyenne d’Israël un statut légal inférieur à celui des Juifs ? Si tel est le cas, on ne sait ni quand ni comment la prochaine guerre surviendra, mais on sait qu’elle est déjà en gestation.

31 octobre 2023
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