Quotidienne

Être Palestinien citoyen israélien aujourd’hui #20

Sylvain Cypel, journaliste

Éminent connaisseur du Proche-Orient, ancien directeur de la rédaction de Courrier international et auteur entre autres de L’État d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel apporte chaque jour pour le 1 hebdo son regard et ses analyses, pour mieux comprendre ce qui se joue dans la guerre actuelle au Proche-Orient.

Être Palestinien citoyen israélien aujourd’hui #20
Illustration Stéphane Trapier

Ils sont 2 millions et constituent 21 % de la population israélienne aujourd’hui. Longtemps, on les a appelés en Israël les ressortissants des « minorités ». Puis les « Arabes israéliens ». Cette expression continue d’être la plus usitée parmi les Juifs, mais une très grande part des Arabes préfèrent désormais se désigner comme « Palestiniens d’Israël », ou « Palestiniens citoyens israéliens ». Longtemps, ceux-ci ont été réduits à un statut de seconde zone dans l’État juif. Aujourd’hui, les discriminations perdurent et ont même été, par certains aspects, aggravées. Mais, une partie croissante des Palestiniens d’Israël s’est professionnellement insérée. On les trouve, en très grand nombre, dans le secteur de la santé – médecins, infirmières, etc. Parmi les avocats et les travailleurs sociaux aussi. Aujourd’hui, ils assistent, effarés et impuissants, aux suites effroyables du massacre du 7 octobre.

Les autorités arrêtent systématiquement tout Palestinien exprimant sa solidarité avec les victimes des bombardements à Gaza.

Autrice et militante féministe, Samah Salaïmé dénonce l’atmosphère délétère qu’entretient depuis cette date une extrême droite israélienne déchaînée contre le « secteur arabe ». Elle-même se dit « horrifiée » par les crimes commis le 7 octobre. Concernant les Palestiniens citoyens d’Israël, « aucun sang n’a encore été versé, écrit-elle, mais l’atmosphère est empreinte d’intimidation et de menaces ». Le patron de la police, Kobi Shabtaï, a menacé d’expulser à Gaza tout Palestinien manifestant publiquement contre les bombardements qui y ont lieu. Les autorités arrêtent systématiquement tout Palestinien exprimant sa solidarité avec les victimes des bombardements à Gaza. Des députés poussent à l’adoption de lois permettant de retirer sa citoyenneté à quiconque « s’identifie au terrorisme » – l’utilisation du terme étant « très extensive », écrit-elle. La neuroscientifique et chanteuse Dalal Abou Amneh et l’actrice Maisa Abd Elhadi ont toutes deux été arrêtées au seul motif qu’elles ont posté un commentaire sur des réseaux sociaux. Au Collège universitaire de la ville de Netanyah, cinquante étudiants palestiniens d’Israël ont dû se barricader, craignant pour leur vie, devant une foule déchaînée hurlant « Mort aux Arabes » et « Retournez à Gaza ». La police est parvenue à les évacuer des dortoirs. Ailleurs, une centaine d’étudiants palestiniens ont subi des procédures disciplinaires d’exclusion pour avoir manifesté leur solidarité avec les Gazaouis.

Au printemps 2021, lors des précédents bombardements israéliens sur Gaza, les Palestiniens d’Israël s’étaient mobilisés et des émeutes graves s’en étaient suivies, en particulier dans les villes dites mixtes, où cohabitent Juifs et Palestiniens. Ces événements avaient beaucoup inquiété les autorités israéliennes. Depuis, le dirigeant de l’extrême droite raciste, Itamar Ben-Gvir, chef du parti Puissance juive, a mené en 2022 une grande partie de sa campagne électorale (qui l’a amené à être aujourd’hui ministre de la Police de Benjamin Netanyahou) en ciblant l’« ennemi intérieur » que représenteraient ceux qu’on nomme aussi parfois les « Palestiniens de l’intérieur », désignant ainsi les héritiers de ceux qui, en 1948, n’ont pas fui ou n’ont pas été expulsés de chez eux lors de la guerre d’Indépendance d’Israël.

Aujourd’hui, les Palestiniens d’Israël ont bien plus peur qu’il y a deux ans. D’abord, parce que l’horreur du massacre perpétré par le Hamas, qu’on le veuille ou pas, constitue un obstacle à leur mobilisation. Ensuite, parce que la classe politique et la société israéliennes, dans leur très large majorité, sont dans un état de fureur sans limite à l’égard des Palestiniens – une fureur qui pourrait, ceux-ci le perçoivent, présager le pire pour eux tous, et pas seulement pour les Gazaouis. Mieux vaut, dans ces conditions, faire le dos rond et espérer, le pire n’étant jamais sûr. « Il y a aussi de la place dans nos cœurs pour les victimes israéliennes, dit Samah Salaïmé. Mais il est très difficile de supporter l’idée qu’on puisse s’émouvoir pour une enfant juive de 3 ans kidnappée, épouvantée, quelque part dans une cave à Gaza, tout en ignorant les 3 000 enfants palestiniens massacrés juste au-dessus d’elle. »

En 2021, Mme Salaïmé avait été harcelée au téléphone par des voyous racistes : « Catin, on va venir te violer et te tuer. » Elle s’était plainte à la police, laquelle lui avait répondu : « Ça t’apprendra à l’ouvrir quand on est en guerre. » Aujourd’hui, reconnaît-elle, « j’essaie vraiment de garder ma bouche fermée ».

07 november 2023
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