Quotidienne

L'avenir en plans #18

Sylvain Cypel, journaliste

Éminent connaisseur du Proche-Orient, ancien directeur de la rédaction de Courrier international et auteur entre autres de L’État d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel apporte chaque jour pour le 1 hebdo son regard et ses analyses, pour mieux comprendre ce qui se joue dans la guerre actuelle au Proche-Orient.

L'avenir en plans #18
Illustration Stéphane Trapier

Pendant que les bombardements et les combats au sol de l’armée israélienne se poursuivent à Gaza, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, entamait vendredi un second périple au Moyen-Orient. Pour réaffirmer sa solidarité avec l’État juif, mais aussi, assurent les « experts », pour demander à ses dirigeants de faire la « pause humanitaire » à laquelle ils rechignent, ainsi que de commencer à réfléchir à l’« après » – ce qui, martèle Benyamin Netanyahou, n’est pas à l’ordre du jour tant que la « guerre au Hamas » perdure. Cela n’empêche pas lesdits experts de s’engager dans ce qui serait une perspective de retour au calme au Proche-Orient, et plus si affinités. Les propositions se multiplient. Nous en avons sélectionné deux, qui nous semblent refléter des perspectives modérées aptes à séduire, ou du moins à faire réfléchir, les Américains.

La première a été promue par Salam Fayyad, qui fut le Premier ministre de l’Autorité palestinienne (AP) de 2007 à 2013 et qui enseigne aujourd’hui à l’université de Princeton. Elle a été exposée dans un article publié dans Foreign Affairs le 27 octobre, sous le titre : « Les réformes qui pourraient permettre à l’OLP [Organisation de libération de la Palestine] de diriger et à l’Autorité palestinienne de gouverner ». « Pour cesser la descente aux abysses », estime-t-il, le Hamas doit d’abord libérer les civils israéliens qu’il détient. On note qu’il n’évoque pas les soldats, et ne précise pas que cela ne peut se faire sans négocier avec le Hamas. Une fois un certain calme revenu, il faudra « exclure l’idée d’imposer aux Palestiniens un arrangement par la force ». Il est, par exemple, impensable d’obliger l’Autorité palestinienne à diriger Gaza. « L’accepterait-elle qu’elle en serait incapable », écrit-il, vu son « illégitimité » aux yeux de l’opinion palestinienne. Non, l’OLP et l’AP doivent d’abord se réformer en profondeur et s’unifier – donc intégrer le Hamas et le Djihad islamique dans leurs rangs. Israël devra, de son côté, « préalablement reconnaître le droit des Palestiniens à détenir un État souverain » sur les terres occupées en 1967 (la Cisjordanie, Jérusalem-Est incluse, et Gaza). Dès lors, « une voie s’ouvrirait vers une solution à deux États ». L’AP pourrait légitimement diriger les deux parties de la Palestine « pour une période transitoire de plusieurs années ». L’échéance de l’érection de l’État palestinien n’est pas précisée.

L’autre proposition est avancée par Alon Pinkas, un ancien ambassadeur israélien devenu chroniqueur médiatique. L’homme incarne une gauche sioniste proche des démocrates américains. Sa particularité : son insondable détestation de Benjamin Netanyahou. Titre de son article, paru le 2 novembre : « Après le Hamas, la seule option pour Gaza est l’intervention internationale ». Il part d’un postulat simple : « Le maximum qu’Israël puisse offrir aux Palestiniens est inférieur au minimum que ceux-ci peuvent accepter. » Dès lors, ils n’ont d’autre option que d’abandonner aujourd’hui leur rêve d’État souverain. Pour autant, l’occupation israélienne doit cesser. La solution ? La « tutelle ». Dans la période récente, c’est ce statut juridique qui fut imposé un temps au Kosovo (par l’Otan) et au Timor oriental (par l’ONU). Un modèle, écrit-il, « qui combine gouvernance internationale et nationale, par lequel des puissances étrangères ou des agences internationales assument temporairement la responsabilité du gouvernement, de la bureaucratie et de l’économie du pays ». Les frontières seraient protégées par des forces de maintien de la paix, onusiennes ou de l’Otan. Conclusion : « Il est prématuré et irréaliste de discuter d’un futur État palestinien. Mais une tutelle retirerait le pouvoir des mains du Hamas à Gaza, et on pourrait l’étendre pour une période de dix ans à la Cisjordanie. »

Les deux propositions visent prioritairement à « dégager » le Hamas de la scène et à repousser à des calendes inconnues toute souveraineté palestinienne, pour ne pas fâcher Israël. Surtout, elles excluent du débat quelques vétilles qui, jusqu’ici, ont fait obstacle à toute solution. Qui imposera à Israël un retrait complet de ses soldats de Cisjordanie ? Et comment ? Que faire des colons israéliens vivant dans les territoires palestiniens occupés ? Que faire de la reconnaissance du « droit au retour » des héritiers des Palestiniens expulsés en 1948 et comment le gérer ? Que faire de la Jérusalem palestinienne ? Combien de temps encore les Palestiniens voudront-ils bien « attendre » ? Et comment faire accepter à Israël des « solutions » dont il ne veut pas ? C’est surtout cette dernière question qu’Antony Blinken devrait se poser.

03 november 2023
Retour

Nous vous proposons une alternative à l'acceptation des cookies (à l'exception de ceux indispensables au fonctionnement du site) afin de soutenir notre rédaction indépendante dans sa mission de vous informer chaque semaine.

Se connecter S’abonner Accepter et continuer