Quotidienne

L’ombre du Hamas sur le destin de Netanyahou #10

Sylvain Cypel, journaliste

Éminent connaisseur du Proche-Orient, ancien directeur de la rédaction de Courrier international et auteur entre autres de L’État d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel apporte chaque jour pour le 1 hebdo son regard et ses analyses, pour mieux comprendre ce qui se joue dans la guerre actuelle au Proche-Orient.

L’ombre du Hamas sur le destin de Netanyahou #10
Illustration Stéphane Trapier

Alors que tout Israël attend l’« offensive au sol » qui – Netanyahou l’a promis – permettra de faire disparaître le Hamas à jamais, la stature du chef du gouvernement israélien s’effrite. La dernière blague israélienne en dit long : « Comment sait-on que Netanyahou est en train de mentir ? » Réponse : « Ses lèvres bougent »

Certes, il garde beaucoup d’inconditionnels, mais leurs rangs se fissurent. De nombreux « likoudniks » (membres de son parti, le Likoud) doutent de son aptitude à continuer de gouverner, une fois la guerre finie. Quant aux autres, ils se divisent entre ceux qui attendent la fin de la guerre pour demander son départ, et ceux qui voudraient qu’il parte dès maintenant, même si Israël est en guerre. Leur principal grief est évident : quand un chef de gouvernement est aussi aveugle à la menace qui pointe, il n’est plus habilité à gouverner. Après le fiasco des services de sécurité qui n’avaient pas vu venir l’attaque égyptienne lors de la guerre d’octobre 1973, la Première ministre Golda Meir dut démissionner six mois plus tard. Or Netanyahou a été aussi aveugle qu’elle, sinon plus.

Israël a toujours considéré le nationalisme palestinien comme son adversaire principal

Mais un autre sujet d’accusations pointe, plus grave que l’imprévoyance et qui entache plus encore sa stature politique : le rapport qu’a entretenu Netanyahou avec le Hamas depuis son retour au pouvoir en 2009.

Historiquement, Israël a toujours considéré le nationalisme palestinien comme son adversaire principal, la création d’un État palestinien étant perçue comme ce qui serait la défaite politique absolue. Au début des années 1970, le général Ariel Sharon, alors commandant du front sud israélien, qui incluait la bande de Gaza occupée, choisit délibérément d’y autoriser la construction de nombreuses mosquées. Il était convaincu que si ces lieux de culte – et la religiosité qui va avec – proliféraient, cela se ferait au détriment du mouvement national palestinien. Bientôt, en d’autres territoires, à commencer par l’Afghanistan, les Américains, considérant l’URSS comme l’ennemi essentiel, allaient pareillement soutenir diverses formations djihadistes. On connaît le résultat : in fine, les talibans s’emparèrent de l’Afghanistan. Et le Hamas, après s’être distancié des Frères musulmans à Gaza, bâtit progressivement non pas un mouvement de type djihadiste comme Al-Qaïda ou Daech, mais un mouvement nationaliste religieux palestinien.

« Nous devons dire la vérité. La stratégie de Netanyahou est d’empêcher l’option de deux États. Il fait donc du Hamas son partenaire le plus proche. »

Netanyahou, accusent aujourd’hui ses adversaires, a procédé de même. Sa stratégie était masquée, quoique parfois évoquée. Lors d’une réunion de son parti en mars 2019, il déclarait sans fard : « Ceux qui veulent empêcher la création d’un État palestinien doivent soutenir le renforcement du Hamas […]. Cela fait partie de notre stratégie : séparer les Palestiniens de Gaza de ceux de Judée-Samarie [appellation biblique utilisée pour ne pas dire Cisjordanie]. » Deux mois plus tard, en mai 2019, un de ses conseillers, le général de réserve Gershon Hacohen, enfonçait le clou : « Nous devons dire la vérité. La stratégie de Netanyahou est d’empêcher l’option de deux États. Il fait donc du Hamas son partenaire le plus proche. Le Hamas est ouvertement un ennemi. Secrètement, c’est un allié. » Il fut un temps où l’on appelait cela un « allié objectif ». Peu après, le même mois, la chaîne israélienne Channel 13 citait les propos du président égyptien Hosni Moubarak au quotidien koweïtien Al-Anba : « Netanyahou n’est pas intéressé par la solution à deux États. Il veut séparer Gaza de la Cisjordanie, comme il me l’a dit dès 2010 », expliquait le raïs égyptien de l’époque. Pour ce faire, le Hamas lui était très utile.

Dans le quotidien Haaretz, le 20 octobre, l’historien israélien Adam Raz a dressé une liste impressionnante de déclarations et décisions de Netanyahou et de son entourage allant en ce sens : utiliser le Hamas, le présenter comme l’équivalent de Daech, ce que Netanyahou a encore déclaré dès les premières heures après les attaques du 7 octobre, dans le seul et unique objectif d’empêcher à jamais la création d’un État palestinien. Yuval Diskin, qui a dirigé le Shin Bet (les services israéliens de sécurité intérieure) de 2005 à 2011, a dit ceci : « Si on regarde au fil des ans, l’une des personnes qui a le plus contribué au renforcement du Hamas a été Bibi Netanyahou, dès son entrée en fonction comme Premier ministre. » C’était en janvier 2013. Qui l’a écouté à l’époque ?

23 octobre 2023
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