Quotidienne

Aller « au sol » ou pas ? #9

Sylvain Cypel, journaliste

Éminent connaisseur du Proche-Orient, ancien directeur de la rédaction de Courrier international et auteur entre autres de L’État d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel apporte chaque jour pour le 1 hebdo son regard et ses analyses, pour mieux comprendre ce qui se joue dans la guerre actuelle au Proche-Orient.

Aller « au sol » ou pas ? #9
Illustration Stéphane Trapier

Dans un premier temps, la visite du président Joe Biden en Israël y a été globalement perçue favorablement, comme un acte de soutien puissant à l’État juif : plus de 14 milliards de dollars d’armements supplémentaires – ajoutés aux 3,8 milliards octroyés annuellement –, l’assurance réaffirmée d’une alliance indéfectible entre les deux pays, un soutien à un envahissement israélien de la bande de Gaza s’il advenait, une campagne diplomatique menée pour que l’Iran et le Hezbollah libanais n’entrent pas dans la guerre – la menace qu’Israël craint le plus… Ces dernières années, de fortes tensions étaient apparues entre Benjamin Netanyahou et le président démocrate américain. Normal, Israël est le pays au monde qui a le plus plébiscité Donald Trump et, au sein de la droite israélienne, se multipliaient les appels à « patienter jusqu’à novembre 2024 », lorsque Trump serait revenu au pouvoir. Cette fois, les propos tenus par Biden ont semblé rassurer tout un peuple. Mais deux jours après, les chroniqueurs sont de plus en plus sceptiques.

Biden et ceux qui l'accompagnaient ont mis en garde les Israéliens contre les conséquences d’un envahissement au sol de la bande de Gaza trop prolongé

Car Biden est un champion de l’ambiguïté. Lui et tous ceux qui l’accompagnaient, dont le secrétaire d’État Anthony Blinken et le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, ont visiblement fait passer dans leurs rencontres avec les dirigeants israéliens un message similaire. Ils ont régulièrement répété à leurs hôtes que « tous les Gazaouis ne sont pas au Hamas » – bref, attention aux civils ; un massacre pourrait entacher l’image des Israéliens. Ils ont demandé au gouvernement israélien d’ignorer les appels délirants à la vengeance qu’on peut entendre sur les médias. Biden a aussi fait passer un autre message : si Israël entend conforter l’alliance naissante avec l’Arabie saoudite, il devra obligatoirement, une fois la guerre terminée, faire des concessions sur la question palestinienne – la « question » de la Palestine est ainsi de retour et personne ne pourra plus l’ignorer, contrairement aux affirmations de Netanyahou. Et surtout, ils ont mis en garde les Israéliens contre les conséquences d’un envahissement au sol de la bande de Gaza trop prolongé, s’il avait lieu, pour y mener une chasse aux terroristes sur un terrain difficile, et contre le risque d’embourbement de l’armée israélienne qui pourrait s’ensuivre.

Le général du corps de Marines Kenneth McKenzie, ex-chef du Commandement central de l’armée américaine (Centcom), qui couvre les opérations militaires au Moyen-Orient et en Asie de l’Est et du Sud, a déclaré au Washington Post : « Je crains que [les Israéliens] retournent [à Gaza] et que ce soit un bain de sang pour tout le monde. » De nombreux observateurs, en particulier américains mais aussi israéliens, redoutent que la stratégie du Hamas soit, précisément, d’amener les forces de Tsahal « au sol », estime Alon Pinkas, un ancien ambassadeur d’Israël.

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Ainsi parlait Moshe Dayan.

Un ami israélien m’envoie ceci. En 1956, au kibboutz Nahal Oz – un de ceux limitrophes de Gaza qui a le plus subi l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier –, un soldat israélien de 21 ans nommé Roï Rothberg fut assassiné par ce qu’on appelait alors en Israël un mistanen, un « infiltré ». Lesdits « infiltrés » étaient très généralement des Palestiniens expulsés par Israël qui tentaient de passer la frontière pour voir ce qu’étaient devenus leurs biens. Le général Moshe Dayan, alors chef d’état-major israélien, vint aux obsèques, le 30 avril 1956. Son propos fut très bref. Voici ce qu’il y déclara : « Ne lançons pas d’accusations sur les meurtriers. Comment pourrions-nous les blâmer pour la forte haine qu’ils ont à notre égard ? Cela fait huit ans qu’ils végètent dans le camp de réfugiés de Gaza et que, sous leurs yeux, nous transformons en notre propriété les terres et les villages où eux et leurs ancêtres ont vécu. Ce n’est pas aux Arabes de Gaza que nous devrions demander le sang de Roï, mais à nous-mêmes. Comment avons-nous fermé les yeux pour ne pas voir notre destinée, la mission de notre génération, dans toute sa cruauté ? »

20 octobre 2023
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