Quotidienne

La censure à l’œuvre #8

Sylvain Cypel, journaliste

Éminent connaisseur du Proche-Orient, ancien directeur de la rédaction de Courrier international et auteur entre autres de L’État d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel apporte chaque jour pour le 1 hebdo son regard et ses analyses, pour mieux comprendre ce qui se joue dans la guerre actuelle au Proche-Orient.

La censure à l’œuvre #8
Illustration Stéphane Trapier

Pendant que la campagne militaire israélienne se poursuit et que l’armée hésite entre l’option d’« aller au sol » dans le but d’« en finir » avec le Hamas et celle d’y renoncer par crainte de s’embourber, la droite israélienne au pouvoir sent monter la colère contre le gouvernement – accusé d’avoir été aveugle – et cherche à y pallier de toutes ses forces. Déjà, un député avait pointé « les gauchistes » (qui regroupent, dans le jargon de la frange coloniale, tout ce qui s’étend de la droite modérée à l’extrême gauche) pour expliquer que seuls des « traîtres de l’intérieur », des « officiers gauchistes », avaient pu offrir aux membres du Hamas les moyens de franchir le mur entourant Gaza pour mener à bien leur opération criminelle.

Cette droite radicale sait qu’aux yeux d’une majorité d’Israéliens, c’est le gouvernement et l’état-major actuels qui, dès la guerre terminée, feront l’objet de toutes les commissions d’enquête à venir. Et que les gouvernants risquent beaucoup plus que les militaires (seuls les responsables du renseignement seront mis au ban). Il faut donc trouver, en attendant, un dérivatif à la colère du peuple. Shlomo Karhi, membre du Likoud et ministre des Communications, a trouvé la parade. Il s’agit de pénaliser toute information qui « saperait le moral de la nation » ou « servirait de propagande à l’ennemi ». Critiquer virulemment Benjamin Netanyahou, par exemple ?

La presse écrite et en ligne, la radio et la télévision, images et sons, tout sera contrôlé

Après avoir consulté Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale et principale figure de l’extrême droite religieuse israélienne, Karhi a donc édicté une série de mesures propres à faciliter son objectif : concentrer sur les « gauchistes » le courroux des citoyens honnêtes. Il s’est basé sur une interprétation très élargie de règlements publics « limitant l’aide à l’ennemi dans la communication » inscrits dans la section 39 des lois fondamentales (il n’y a pas en Israël de Constitution, mais une série de lois à caractère constitutionnel). Ses mesures s’appliqueront à tout individu qui, donc, porterait atteinte au moral des troupes et de la nation, mais aussi aux médias – médias internationaux inclus. Là, le principal « ennemi » visé est sans aucun doute Al Jazeera, la chaîne qatarie de télévision qui détient un bureau à Jérusalem. Karhi a déjà annoncé avoir l’accord du ministre de la Sécurité nationale pour fermer les locaux d’Al Jazeera. Mais ce nouveau règlement s’appliquera, au seul jugement du ministre, à tout article de presse et toute déclaration publique qui paraîtront non conformes à ses desiderata.

La presse écrite et en ligne, la radio et la télévision, images et sons, tout sera contrôlé. Si les services du ministre estiment que les propos tenus « minent le moral des soldats ou des résidents israéliens face à l’ennemi », ou « servent de base à de la propagande » nocive, etc., ils seront en droit d’interdire les émissions au cours desquelles ces propos ont été tenus, de saisir des équipements, de déplacer une personne de son poste, etc. Le quotidien Haaretz note avec humour que Karhi lui-même pourrait tomber sous le coup de ses propres règlements : dans le passé, il a dit refuser d’obéir à des décisions de la Cour suprême qui n’avaient pas son agrément, et manifesté publiquement son dédain pour les juges de cette institution.

Karhi s’est récemment exprimé sur la chaîne 14 de la télévision israélienne, connue pour être totalement inféodée à Bibi Netanyahou. « Aujourd’hui, a-t-il dit, les journalistes servent leur propre agenda. Dans ma vision, ils seront au service du public. Lorsque ma réforme sera achevée, les chaînes ne pourront plus diffuser de propos relevant du déshonneur intellectuel sans que leur portefeuille s’en ressente. »

19 octobre 2023
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