Quotidienne

Connaissez-vous la « doctrine Dahiya » ? #7

Sylvain Cypel, journaliste

Éminent connaisseur du Proche-Orient, ancien directeur de la rédaction de Courrier international et auteur entre autres de L’État d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel apporte chaque jour pour le 1 hebdo son regard et ses analyses, pour mieux comprendre ce qui se joue dans la guerre actuelle au Proche-Orient.

Connaissez-vous la « doctrine Dahiya » ? #7
Illustration : Stéphane Trapier

L’atmosphère, en Israël, est à l’attente fiévreuse. Le président américain, Joe Biden, y est arrivé mercredi. Pour donner quitus au projet israélien d’invasion terrestre de Gaza ? Pour donner des assurances mais aussi exiger une sortie politique de la crise actuelle ? Le bombardement de l’hôpital de Gaza Al-Ahli Arabi, qui a fait des centaines de morts palestiniens dans la nuit de mardi à mercredi, pourrait-il changer le regard de l’opinion internationale sur ce qui advient dans la minuscule bande de territoire palestinien ?

Les messages venus de Washington qui semblent les plus significatifs veulent que les États-Unis soutiennent toutes les mesures israéliennes pour « éradiquer » le Hamas, mais également qu’Israël s’engage à revenir à des négociations avec les Palestiniens – et à faire des « concessions ». Ce dont les actuels dirigeants israéliens ne veulent pour rien au monde. Mardi soir, à la réunion du gouvernement, le ministre israélien de l’Énergie, Israël Katz, s’est bruyamment opposé à toute mesure de soutien humanitaire aux Palestiniens. Netanyahou a rétorqué que Biden ne l’admettrait pas.

Cette doctrine présuppose que le bombardement massif des civils recèle aussi une vertu pédagogique

En attendant, l’armée attend un feu vert pour aller « au sol ». Au cabinet de guerre, devenu l’instance suprême de décision – le gouvernement étant placardisé –, Netanyahou a fait entrer deux ex-chefs d’état-major : les généraux Benny Gantz et Gadi Eisenkot. Le premier, devenu le patron d’une formation « centriste », entend – il l’a dit publiquement – sortir de l’union nationale dès la guerre terminée pour reprendre la bataille politique contre Netanyahou. Le second, moins connu, est l’auteur d’une doctrine militaire officielle de l’armée israélienne, dite « doctrine Dahiya ». Elle tire son nom d’un quartier de Beyrouth massivement bombardé durant la guerre contre le Hezbollah, en 2006. Cette guerre tourna court pour les Israéliens, surpris par les capacités de combat terrestres et aériennes de la milice chiite libanaise. Deux ans plus tard, le général Eisenkot tira le bilan de l’échec et expliqua sa nouvelle « doctrine ».

Selon lui, lorsqu’une armée affronte un ennemi « asymétrique », la seule issue pour le vaincre consiste à user d’une « force disproportionnée » contre les civils au sein desquels celui-ci se meut. En d’autres termes, il s’agit de tourner le dos au droit de la guerre et de cesser de faire une distinction entre militaires et civils. Cette doctrine présuppose que le bombardement massif des civils recèle aussi une vertu pédagogique : les populations touchées comprendront enfin que les terroristes ne leur apportent que du malheur. « Faire un usage disproportionné de la force causera de grands dommages. Il ne s’agit pas d’une recommandation, mais d’un plan approuvé. S’en prendre à la population est le seul moyen », dira en 2008 le général Eisenkot à l’agence Reuters. Il visait à l’époque le Hezbollah. Mais, Gaza étant l’exemple type du territoire où se mène une guerre « asymétrique », sa « doctrine » y a été, depuis, abondamment mise en œuvre à travers des bombardements massifs de la bande – en particulier en 2006, en 2008, en 2014 et en 2021 – qui firent des milliers de victimes civiles. Leur effet pédagogique semble resté modeste.

Cette fois, Israël a certes beaucoup bombardé Gaza, mais il a surtout privilégié l’expulsion de leurs habitats des populations vivant dans le nord de la bande pour les pousser vers le sud et laisser le terrain au nord à découvert afin de mieux pouvoir lancer ses forces à l’assaut du Hamas. On suppose donc, selon la doctrine Dahiya, que le demi-million à 700 000 civils qui y sont restés – femmes, enfants, vieillards, invalides, etc., inclus – doivent tous s’attendre à subir un « usage disproportionné de la force ». Puisque c’est là « le seul moyen »… Que l’armée israélienne se contente de bombarder ou qu’elle réinvestisse la bande de Gaza.

18 octobre 2023
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