Quotidienne

Des brindilles d’espoir #6

Sylvain Cypel, journaliste

Éminent connaisseur du Proche-Orient, ancien directeur de la rédaction de Courrier international et auteur entre autres de L’État d’Israël contre les Juifs, Sylvain Cypel apporte chaque jour pour le 1 hebdo son regard et ses analyses, pour mieux comprendre ce qui se joue dans la guerre actuelle au Proche-Orient.

Des brindilles d’espoir #6
Illustration Stéphane Trapier

Dans cette forêt qui brûle et que personne ne parvient à éteindre – ou ne veut éteindre, plus précisément, car, s’il le voulait, Washington pourrait imposer aux Israéliens de mettre un terme au carnage et au gigantesque déplacement de population auxquels ils procèdent à Gaza, mais il est visiblement encore trop tôt –, dans cette forêt incandescente subsistent quelques brindilles de rationalité et de compassion. Personne ou presque n’y fait attention : elles sont si peu nombreuses, et les cris rageurs des uns et des autres couvrent leurs voix. Mais ici ou là fuse un message d’espoir.

À Jaffa, par exemple, ce gros faubourg intégré à Tel-Aviv, s’est organisé dès le lendemain du carnage du Hamas une association réunissant des Juifs et des Arabes pour éviter tout débordement de violence – en particulier, pour faire reculer les Garinim Toranim (les « Grains bibliques »), cette milice de colons messianiques qui multiplie depuis 2021 les attaques dans les villes israéliennes dites « mixtes », c’est-à-dire incluant des Juifs et des Palestiniens. Leur objectif déclaré consiste à faire partir les Palestiniens de leurs logis et à les regrouper dans des ghettos périphériques pour faire place à des synagogues et à des écoles rabbiniques, dans l’objectif assumé de « judaïser » ces villes.

La crainte de voir les miliciens mystiques israéliens s’abattre sur les quartiers populaires palestiniens a suscité cette mobilisation sans précédent

Le responsable du « secteur arabe » de la municipalité de Jaffa a tout de suite appelé les candidats potentiels à créer une « garde » judéo-arabe pour éviter tout débordement. Le premier soir, 1 000 volontaires s’étaient déjà présentés. Le lendemain, presque 2 000, appelés dans d’autres villes « mixtes » d’Israël à suivre leur exemple. C’est que les affrontements du printemps 2021 – qui ont vu pour la première fois des Palestiniens manifester massivement en faveur de leurs frères de Gaza bombardés, et les agressions qui s’en sont suivies, de part et d’autre, entre Juifs et Palestiniens citoyens israéliens, la police israélienne s’effaçant devant les hordes de hooligans déchaînés de l’extrême droite juive – ont laissé une empreinte importante dans toutes les villes « mixtes » du pays.

Depuis, la crainte des autorités israéliennes d’un nouvel embrasement des Palestiniens citoyens d’Israël en faveur de leurs frères des territoires occupés est un enjeu de premier plan. Et dans la crise actuelle, c’est surtout la crainte de voir les miliciens mystiques israéliens s’abattre sur les quartiers populaires palestiniens qui a suscité cette mobilisation sans précédent. Si Jaffa a été à l’initiative, explique Anat Even, une documentariste israélienne qui y réside, c’est que depuis deux ans existait déjà une association judéo-arabe dans la ville. Son nom dit tout de son objet : Omdim BeYa’had, « Debout ensemble ». Ses membres, des résidents juifs et palestiniens citoyens israéliens, se sont précisément regroupés après les heurts communautaires de 2021. Leur activité consiste, essentiellement, à s’opposer à la dépossession des habitants palestiniens de leurs propriétés par les « Grains bibliques ». Cette fois, on a vu ces derniers débarquer dès le samedi soir, à la sortie du shabbat. Mais pour une fois, la mairie et la police, à la demande de Debout ensemble, les a empêchés d’agir.

Le phénomène, note Anat, est inédit. À Saint-Jean-d’Acre, un musulman, nommé Louis Hajj, a publié sur Facebook un appel au calme déchirant, devenu depuis viral. « On a vu des Palestiniens israéliens inviter des résidents de Sdérot [bourg limitrophe de Gaza] venir habiter chez eux. On dit qu’un Bédouin a sauvé 30 enfants du massacre. » Sur la chaîne de télévision numéro 12, le maire de Ramleh (une des plus grandes villes « mixtes » d’Israël), un homme pourtant « très raciste », précise-t-elle, a appelé ses électeurs juifs à ne pas sombrer dans le désir de revanche. Des brindilles…

17 octobre 2023
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