Quotidienne

Une première parole du Hamas #5

Sylvain Cypel, journaliste

Membre du comité éditorial du 1, Sylvain Cypel a été directeur de la rédaction de Courrier international et correspondant du Monde à New York de 2007 à 2013. Il a longtemps vécu en Israël et a notamment publié L’État d’Israël contre les Juifs (La Découverte, 2020). Dans cette chronique quotidienne, il nous livre son regard sur la situation au Proche-Orient à la suite de l’offensive surprise contre Israël lancée par le Hamas le samedi 7 octobre.

Une première parole du Hamas #5
Illustration : Stéphane Trapier

Que dit aujourd’hui le Hamas ? Autant la parole des politiques et des médias israéliens se diffuse à profusion, autant celle du Hamas apparaît inaudible – et ne bénéficie par ailleurs d’aucun crédit. Ce week-end, le magazine The New Yorker a cependant publié un long entretien avec un dirigeant du Hamas. Il ne représente pas la parole des Gazaouis en général, mais il a l’avantage de venir de la partie aujourd’hui muette.

Il se nomme Moussa Abou Marzouk. Sa famille réside à Gaza, où il est né il y a soixante-douze ans. Ses parents étaient illettrés, mais il est parvenu à devenir ingénieur aux États-Unis. Il fait partie de la direction historique du Hamas, le parti nationaliste musulman, pas de sa composante militaire. Il dit avoir été pris au dépourvu par l’attaque sanglante menée en Israël le 9 octobre par les brigades Ezzedine-Al-Qassam, la branche armée du Hamas, et n’avoir été informé de l’opération que quelques heures avant. Les combattants palestiniens, ajoute-t-il, ont été les premiers surpris par l’absence initiale de riposte israélienne à leur incursion. « Ils pensaient que les unités israéliennes étaient très entraînées » et que, une fois traversé l’épais mur blindé qui entoure tout Gaza, les affrontements seraient très sanglants dès le premier instant. « Nous n’avions jamais imaginé que les soldats se retireraient dans la confusion. » Il confirme aussi que la planification de cette attaque a débuté « des années plus tôt », mais dit que la décision de passer à l’acte a été « spontanée ». Y croira qui veut.

Contre toute évidence, Abou Marzouk clame que les forces du Hamas n’ont pas commis les crimes contre les civils dont elles sont aujourd’hui accusées. Ces atrocités, dit-il, ont été perpétrées par des membres d’« autres » formations. Qui ? De fait, l’attaque a été menée au nom d’un « commandement unifié » de la résistance palestinienne à Gaza. Les vrais criminels seraient donc des membres du Djihad islamique et du FPLP (le Front populaire de libération de la Palestine). L’argument paraît dérisoire, et désolant. Il proclame aussi qu’aujourd’hui, en toutes circonstances, si la fraction armée de son parti « exécutait des otages, ce serait une faute ». Il dit cela avant d’ajouter qu’un cessez-le-feu devrait être immédiatement instauré : « Si la guerre cesse, tout peut être négocié. » Et de souhaiter qu’un échange entre otages et soldats détenus par le Hamas et militants palestiniens prisonniers en Israël soit organisé en priorité.

« Seule une organisation idéologique comme le Hamas croit que mourir pour une juste cause est préférable à vivre une vie dénuée de sens »

Une proposition qui semble totalement utopique tant Israël est désormais déterminé à bouleverser la donne à Gaza, sans qu’on connaisse encore les limites que cet État se fixe, s’il y en a. Quant à la population juive israélienne, elle semble majoritairement acquise à l’abandon de l’idée de récupérer les otages civils et les soldats capturés par le Hamas. Si la négociation avec Israël ne s’engage pas, « les Palestiniens sont prêts à payer un prix plus cher encore pour leur liberté », proclame Abou Marzouk. Le New Yorker rapporte également les mots d’un autre Gazaoui, le politiste Mkhaimar Abousaada, qui vit à Gaza et tient des propos très différents : « Le peuple de Gaza n’a rien à perdre, dit-il. Mais la plupart de ses membres ne veulent pas mourir de façon aussi affreuse. Seule une organisation idéologique comme le Hamas croit que mourir pour une juste cause est préférable à vivre une vie dénuée de sens. »

Abou Marzouk, écrit le New Yorker, dit quelques vérités. Mais, quand on lui pose la question : « Qu’est-ce que le Hamas espérait en faisant couler du sang innocent ? », sa réponse tourne systématiquement autour de la « litanie d’échecs » palestinienne. « On a tout essayé, on s’est tourné vers tous les États du monde pour nous aider, nous protéger, faire cesser la colonisation. Mais la situation s’est constamment aggravée. Les futures générations d’Israéliens sauront maintenant qu’ils ne peuvent pas occuper les Palestiniens, ni continuer leurs guerres ad vitam aeternam. Ceci est notre plus grande victoire. » On ne sait s’il y croit sincèrement ou s’il ne croit plus en rien d’autre.

16 octobre 2023
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