Quotidienne

Mais où est passé le service public israélien ? #3

Sylvain Cypel, journaliste

Membre du comité éditorial du 1, Sylvain Cypel a été directeur de la rédaction de Courrier international et correspondant du Monde à New York de 2007 à 2013. Il a longtemps vécu en Israël et a notamment publié L’État d’Israël contre les Juifs (La Découverte, 2020). Dans cette chronique quotidienne, il nous livre son regard sur la situation au Proche-Orient à la suite de l’offensive surprise contre Israël lancée par le Hamas le samedi 7 octobre.

Mais où est passé le service public israélien ? #3
Illustration Stéphane Trapier

Elle s’appelle Atar Ornan. Psychologue, elle habite Jérusalem. Sa petite-fille est sans nouvelles de ses trois amies qui étaient à la rave party près de Gaza. Témoignage brut d’une Israélienne sur la disparition de la puissance publique dans le chaos généralisé.

« Je voulais aider, ne pas rester les bras ballants pendant que le pays brûle. Je suis sortie et j’ai déambulé. Je suis tombée sur un groupe de jeunes, entre 20 et 30 ans. Ils s’organisaient pour recueillir des choses urgentes, de la nourriture, des vêtements, pour trouver des lieux d’accueil pour les familles ayant fui le sud du pays, et dont personne ne s’occupe, ou pour des soldats errant en divers endroits. » Elle nous transfère un appel sur WhatsApp lancé par un soldat, comme une bouteille à la mer. On entend : « J’appelle de ma base près de Gaza. Qui peut nous aider ? Amenez-nous à boire, à manger, des chaussettes et des slips. On est seuls ici, sans directives. Vous êtes devenus fous ? À l’aide ! »

 « Le sentiment que les organes de l'État ont failli, jusque dans l’utilisation de la troupe, est général. »

Atar poursuit : « J’ai rencontré des gens formidables. Toutes sortes de groupes de la société civile se sont mobilisés pour pallier la carence des organes de l’État et aider les gens. Le phénomène est massif. Ce sont souvent les mêmes qui défilaient chaque samedi soir depuis des mois contre la politique de Netanyahou. Ils se sont organisés pour venir en aide aux familles qui se sont enfuies des villes autour de Gaza. Les gens des kibboutz, eux, ont été en général mieux lotis. Mais ceux des villes, souvent pauvres, sont abandonnés. Les ONG ont aussi ouvert des gardes d’enfants pour que les parents s’organisent. Une association, qui s’est nommée Lev Ehad (un seul cœur), s’est créée pour prendre en charge le soutien psychologique aux traumatisés. Moi, je leur apporte mon expérience [Atar a longtemps coopéré avec MSF]. Ils ont aménagé un lieu d’accueil où parents et enfants peuvent venir parler. »

« La question revient en boucle à la télévision : mais où est l’État ? Le sentiment que ses organes ont failli, jusque dans l’utilisation de la troupe, est général. Des témoignages dingues circulent, invérifiables. Des soldats auraient été envoyés au front sans gilets pare-balles ni nourriture. La réponse des ministres, c’est : “Tout va arriver, mais ça prend du temps.” Et rien n’arrive. Le seul ministre qui agit est celui de la Santé, Moshe Arbel [du parti religieux séfarade Shas]. Les autres sont inaudibles, invisibles. On n’en voit aucun aux funérailles des victimes. Ce gouvernement ne fait rien pour la population. »

En 2006, lors de la « guerre des 33 Jours », qui confronta Israël au Hezbollah sur le territoire libanais, la milice chiite prit totalement au dépourvu l’armée israélienne par sa capacité insoupçonnée à lancer des missiles à distance. Ses bombes, envoyées jusqu’en Galilée, paralysèrent le cœur industriel d’Israël. Pendant ce temps, les habitants de Haïfa et de nombreuses bourgades fuyaient leur logis. Bientôt, la rage populaire explosait contre l’impéritie gouvernementale. Le ministre des Finances de l’époque, Avraham Hirschson, expliqua alors que « ce n’est pas le rôle de l’État de faire cette besogne, il y a des organismes caritatifs pour ça ». Depuis, l’économie israélienne a été libéralisée encore plus radicalement. Aujourd’hui, Israël caracole dans les statistiques économiques. Mais la « start-up nation » est le troisième pays le plus inégalitaire des 27 membres de l’OCDE. Et de manière pire encore qu’en 2006, la faillite du service public, qui a été démantelé, est spectaculaire.

12 octobre 2023
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