Quotidienne

Les règles du jeu ont changé

Vincent Martigny, politiste

Des thèmes de campagne brûlants et subjectifs, des mises en scène de plus en inspirées par la fiction… Dans sa première chronique pour l’application du 1, le politiste Vincent Martigny expose en quoi, sur le fond et sur la forme, les élections à venir seront singulières.

Les règles du jeu ont changé

Alors que nous entrons de plain-pied dans la campagne de l’élection présidentielle, notre réalité politique semble plus illisible que jamais. Les règles qui avaient organisé le jeu politique pendant des décennies semblent s’être transformées brutalement.

Jusqu’en 2017, le mode d’emploi de la présidentielle était connu de tous : l’élection voyait s’affronter dans un duel attendu des grands partis, enracinés dans le territoire. Les candidats, identifiés de longue date par les Français, s’opposaient essentiellement sur les enjeux socio-économiques. Le vote était quant à lui essentiellement déterminé par l’appartenance à des partis, qui recoupaient les divisions sociales et géographiques du pays. Cette réalité, on le sait, a explosé en 2017 avec l’élection d’Emmanuel Macron et l’élimination des candidats des deux principaux partis, suivi de leur effondrement. Sauf que le nouveau monde promis par Emmanuel Macron n’est toujours pas advenu, sans pour autant nous restituer l’ancien. Et le paysage politique, toujours en reconfiguration, peine à sortir des décombres dans lesquelles l’élection précédente l’a plongé.

Plus d’un tiers des électeurs se pose encore la question de prendre part au vote trois mois avant le scrutin

Le contexte d’abord, est marqué par la désillusion, l’apathie et la distance avec la politique traditionnelle. Plus d’un tiers des électeurs se pose encore la question de prendre part au vote trois mois avant le scrutin. Les débats entre les candidats n’évoquent plus que marginalement les questions économiques, au profit d’enjeux brûlants et subjectifs comme l’identité – nationale, culturelle ou de genre – l’immigration ou le sentiment d’insécurité. Les grands partis ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, et la campagne, médiocre sur le fond des idées, voit pourtant une multiplication de candidatures de tous bords dont aucune – hormis celle du président sortant – ne semble surnager. Le tout rythmé par des sondages toujours plus nombreux qui prétendent déchiffrer une opinion illisible : il y en avait 157 en 1995 ; nous avons dépassé les 500 en 2017.

Quoiqu’en tête dans les intentions de vote, le président apparaît plus seul que jamais, régnant sur une assemblée nationale introuvable, un gouvernement fantôme – qui peut citer le nom de plus de trois ministres ? – et un parti majoritaire devenu depuis longtemps une coquille vide, laminé aux élections locales et sans assise dans le pays.

Sur la forme, le changement est encore plus saisissant : pour attirer l’attention, les candidats se plient à des mises en scène de plus en inspirées par la fiction. Éric Zemmour a ainsi été le premier candidat de la Cinquième République à se déclarer sur Twitter, et ce dans une vidéo parodiant l’appel du 18 juin du général de Gaulle. Pour la nouvelle année, Christiane Taubira a présenté ses vœux en slamant sur une scène. Le ministre de l’Économie Bruno Lemaire prend le temps de commenter sur Facebook le « happening » de Stromae présentant sa dernière chanson au journal de TF1, ou le dernier roman de Michel Houellebecq dont il est l’un des personnages principaux. Les jeunes avec Macron, quant à eux, nous promettent « cinq saisons de plus » si leur héros est réélu, comme s’il s’agissait d’une série.

Ce phénomène n’est pas propre à la France : partout, l’entremêlement de la pop culture et de la politique engendre une situation nouvelle caractérisée par une confusion croissante entre le réel et la fiction. La réalité devient un récit parmi d’autres pour un public préférant une histoire fausse qui les rassure dans leurs certitudes plutôt que la froideur de la vérité. Tout cela peut donner le sentiment d’une diversion maximale vis-à-vis des défis de notre époque – à commencer par la crise environnementale ou l’explosion des inégalités.

La période est plus politique que jamais ! Et elle est passionnante, justement parce que les règles ont changé

Faut-il pour autant se contenter de déplorer cette situation, et proclamer la crise de la démocratie, voire la mort de la politique ?

On défendra ici l’idée contraire : la période est plus politique que jamais ! Et elle est passionnante, justement parce que les règles ont changé. La politique est en train de se transformer, de se mouvoir vers des rivages dont nous ignorons encore les contours, à défaut de les pressentir.

Des sujets inédits émergent dans le débat public, comme la reconfiguration des rapports hommes-femmes ou le combat contre le changement climatique. Ils nourrissent de nouveaux mouvements sociaux qui viennent bousculer les ordres établis. Les débats sur l’histoire et la mémoire nous confrontent à la place de notre passé, nous forçant à regarder notre histoire en face. Les réseaux sociaux sont, malgré leurs défauts, de nouvelles agoras démocratiques. La démocratie elle-même s’enrichit d’expériences comme les primaires ou la convention citoyenne pour le climat. Enfin, les récits politiques sont en pleine transformation, nourris par de nouvelles références, notamment à la pop culture.

Le problème de la campagne actuelle vient précisément de l’inadéquation entre la richesse des enjeux contemporains et la pauvreté du jeu politique traditionnel. Mais pour tous ceux que la politique passionne, ces mutations sont autant de promesses d’avenir, de réflexion et de débats, dont cette chronique tentera, chaque semaine, de se faire l’écho.

Chaque vendredi à 18 h 40, retrouvez Vincent Martigny dans l'émission "Une semaine en France" présentée par Claire Servajean de 18 à 19 heures sur France Inter. En partenariat avec le 1.

22 janvier 2022
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