Quotidienne

« La répartition entre nature et culture n’a rien d’universel »

Dans Ethnographies des mondes à venir, à paraître le 23 septembre (Seuil), l’auteur de bandes dessinées Alessandro Pignocchi mène un dialogue sur notre rapport au vivant avec l’anthropologue Philippe Descola. 

« La répartition entre nature et culture n’a rien d’universel »

Quand un auteur de BD dialogue avec un anthropologue sur notre rapport au vivant, cela donne Ethnographies des mondes à venir, à paraître le 23 septembre (Seuil). Ancien chercheur en sciences cognitives et en philosophie, le dessinateur Alessandro Pignocchi y mène une discussion avec le professeur émérite au Collège de France Philippe Descola, dans un essai ponctué d’illustrations (poétiques) et de planches de bandes dessinées (humoristiques). 

Le 1 vous propose d’en découvrir les premières pages, en écho avec le numéro « Sobriété : comment changer d’imaginaires ? »

 

 

AVANT-PROPOS

 

À une époque, je disais volontiers que j’étais un passionné de « nature », que j’éprouvais un fort besoin de la côtoyer. Les perspectives de combat politique dans ce domaine me semblaient assez claires : multiplier les structures de type parc national, laisser le maximum de zones de nature tranquilles en expulsant autant que possible de leurs frontières les humains et leurs activités destructrices. Puis on m’a mis entre les mains les livres de Philippe Descola, notamment Les Lances du crépuscule dans lequel il raconte son séjour avec sa compagne Anne-Christine Taylor chez les Indiens Achuar (1), en Amazonie équatorienne. Ce récit me touchait d’autant plus qu’il faisait écho à mes premiers voyages en Amazonie, où je m’étais rendu pour observer les oiseaux et où j’avais été amené à fréquenter des Shuar, une ethnie proche des Achuar. Je n’avais à ce moment-là aucune curiosité anthropologique et m’étais certainement dit que ces Indiens étaient fabuleusement « proches de la nature ». De cette expression éculée, voilà ce qu’écrit Descola : « Dire des Indiens qu’ils sont “proches de la nature” est une manière de contresens, puisqu’en donnant aux êtres qui la peuplent une dignité égale à la leur, ils n’adoptent pas à leur endroit une conduite vraiment différente de celle qui prévaut entre eux. Pour être proche de la nature, encore faut-il que la nature soit, exceptionnelle disposition dont seuls les Modernes se sont trouvés capables et qui rend sans doute notre cosmologie plus énigmatique et moins aimable que toutes celles des cultures qui nous ont précédés (2). » Un nouveau monde s’ouvrait à moi.

Le concept de nature, loin de désigner une réalité objective, est une construction sociale de l’Occident moderne

Je découvrais, éberlué, que le concept de nature, loin de désigner une réalité objective, est une construction sociale de l’Occident moderne. La plupart des autres peuples du monde se passent de la distinction entre nature et culture et organisent de façon toute différente les relations entre les humains et les autres êtres vivants. La protection de la nature ne pouvait donc pas être, comme je l’avais imaginé, le contrepoint politique radical à la dévastation du monde orchestré par l’Occident industriel. Protection et exploitation sont les deux facettes complémentaires d’une même relation d’utilisation, d’un rapport au monde où plantes, animaux et milieux de vie se voient attribuer un statut d’objets dont les humains peuvent disposer à leur guise – fût-ce pour les protéger. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas protéger ce qui peut encore l’être, mais cette prise de conscience ouvrait des perspectives politiques autrement enthousiasmantes : défaire la distinction entre

16 September 2022
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