Quotidienne

Lou, ingénieure tunnels pour le Grand Paris Express

Emma Flacard, journaliste

[La France vue d’en bas 3/3] « On travaille à 30 mètres de profondeur. » Lou Caron, ingénieure tunnels, participe au percement de la ligne 16 du métro parisien. Elle évoque pour Zadig sa passion pour la géologie et la mécanique des sols. 

Lou, ingénieure tunnels pour le Grand Paris Express

Lou Caron, 25 ans, est ingénieure tunnels pour le Grand Paris Express, ce vaste chantier qui prévoit la construction de près de 200 kilomètres de galeries de métro aussi bien pour prolonger d’anciennes lignes qu’en créer de nouvelles, l’objectif étant de relier entre elles les banlieues de la capitale. Depuis son bureau de chantier installé près du creusement du dernier tronçon de la ligne 16, entre Noisy-Champs et Chelles, Lou assure la maîtrise d’œuvre. Outre le respect des impératifs de sécurité, les nuisances sonores sont l’une des principales préoccupations de l’équipe qui tâche, du mieux possible, de ne pas importuner les résidents, 30 mètres au-dessus du tunnel.
Lorsqu’elle ne travaille pas, l’ingénieure aime partir à la montagne, où elle guette les plis, les failles dans la roche, les « accidents géologiques ». Le monde de Lou est minéral et silencieux.

 

À quoi ressemble votre France ?


Je viens de Lambersart, un petit village à côté de Lille, où je suis allée au collège et au lycée, avant de faire ma prépa BCPST (biologie, chimie, physique, sciences de la Terre) à Douai.

J’aime beaucoup la montagne : on s’y rend vraiment compte de la grandeur de la nature, et c’est tellement silencieux… J’apprécie aussi le fait que l’on puisse voir la trace des différents événements géologiques dans la roche. En voyant un affleurement par exemple, je peux dire, grâce à mes études, s’il a été créé avant ou après un accident géologique. J’adore repérer certaines figures qui sont très remarquables, comme les plis renversés, les failles… Et pour aller en montagne, on emprunte aussi très souvent des tunnels ! Depuis que je connais les normes à respecter pour leur construction, je compte les issues de secours à chaque fois que j’en emprunte un – c’est une vraie déformation professionnelle ! 

Comment êtes-vous arrivée là ? 

Quand je suis arrivée en prépa BCPST, je pensais m’orienter vers une école de vétérinaire, mais je n’ai pas été reçue au concours, alors j’ai fait une troisième année, et j’ai découvert l’existence de l’École nationale des travaux publics de l'État (ENTPE). J’avais toujours été attirée par la construction car mon père est architecte, j’avais déjà fait des visites de chantiers avec lui enfant, c’était un secteur qui m’intéressait. J’ai donc intégré l’ENTPE, à Lyon, et j’ai suivi la spécialisation géotechnique. J’ai étudié la mécanique des sols et des roches, et cela a vraiment conforté l’attrait que j’éprouvais pour le monde souterrain. Il faut connaître toute cette mécanique – la composition de la roche, les conditions hydrologiques, etc. – pour construire n’importe quel bâtiment au-dessus !

Après deux premiers stages, j’ai intégré Egis, une grosse entreprise d’ingénierie française, et j’ai été affectée à la maîtrise d’œuvre de la ligne 16 du métro parisien dans le cadre du projet du Grand Paris Express. J’ai ensuite perfectionné ma formation en suivant un mastère spécialisé Tunnels et ouvrages souterrains, avec l’ENTP et l’INSA, en bénéficiant d’un parrainage de l’Egis couvrant les frais de scolarité à hauteur de 50 %. J’ai réintégré cette société en mars dernier en tant qu’ingénieure tunnels : j’assure le suivi de creusement du troisième lot de la ligne 16, entre la gare RER de Noisy-Champs et Chelles.

Tous les tunneliers sont baptisés et portent un prénom féminin

On travaille vraiment au-dessous des résidents, qui ne se rendent pas du tout compte que nous sommes là, à 30 mètres sous la terre. On essaie de leur imposer le moins de nuisances possible. J’apprécie de travailler pour permettre aux gens de se rendre plus facilement d’un point A à un point B, et de le faire sans les déranger. C’est un peu plus difficile dans le cas des personnes qui vivent près du puits de départ, lorsque le tunnelier, ce grand cylindre autonome qui peut faire jusqu’à 18 mètres de diamètre, entre en terre. Ensuite, la machine suit son itinéraire de creusement, le pilote la dirige à distance. Le long de ce trajet, il y a des ouvrages annexes, comme la ventilation, les accès de secours tous les 800 mètres… Tous les tunneliers sont baptisés et portent un prénom féminin. 

Je travaille sur le chantier, en surface, dans une « base-vie », un gros container dans lequel on a nos bureaux provisoires. En ce moment, on est en phase d’exécution, c’est-à-dire que le tunnel est en cours de creusement, et je m’occupe de la maîtrise d’œuvre avec mes huit collègues – deux responsables tunnels, une responsable environnement, etc. Je m’assure que le travail de l’entrepreneur correspond bien à ce que l’on avait validé, que les normes de sécurité sont respectées ; je vérifie les paramètres de creusement de la machine, je discute avec le pilote du tunnelier, avec le chef de poste, et visite le chantier chaque jour pour être certaine qu’il n’y a pas de problème. Le chantier est actif 24 heures sur 24, du lundi matin 6 heures au vendredi soir, 22 h 30. Les ouvriers font les trois-huit. Je m’occupe aussi de plusieurs tâches administratives, les réunions sécurité et qualité par exemple.

Le suivi du tunnelier Inès lors du creusement, quelque part sous la commune du Blanc-Mesnil, en juillet 2021. © Lou Caron

 

Il y a toujours des situations délicates, en matière de sécurité notamment. C’est un des combats de la société du Grand Paris, nous y sommes très sensibles. Nous sommes aussi très attentifs aux impacts du chantier sur les espaces avoisinants et tentons le mieux possible de limiter les vibrations, les tassements de terrain.

Quelles sont les œuvres qui vous inspirent ? 


J’aime beaucoup les livres de photos de paysages. Mon père a un livre d’urbex (exploration urbaine) que j’adorais feuilleter : S, M, L, XL, de l’architecte et urbaniste Rem Koolhaas et du designer Bruce Mau. Il y avait toute une partie sur l’exploration des lignes de métro et autres souterrains. 

Que souhaiteriez-vous voir changer en France en 2022 ?

Notre mode de vie doit changer. Avec l’urgence climatique, il est indispensable que l’on modifie nos comportements et que l’on arrête de consommer de manière abusive. Mais je suis assez pessimiste, je pense qu’il est trop tard. 

Êtes-vous arrivée à bon port ? 


Oui. J’ai fait toutes les études possibles, il n’y a pas de formation dans ma spécialisation que je n’ai pas faite. Je me sens légitime et à ma place, et ce n’est pas souvent que l’on entend ça de la part d’une femme travaillant dans le BTP ! Mais on voit de plus en plus de femmes sur les chantiers, et pas seulement dans des bureaux, le secteur est en train de changer.


La question que vous poseriez au président de la République : Je lui demanderais quel plan législatif concret il compte mettre en œuvre dans le domaine de l’écologie. Je trouve qu’il ne se positionne pas assez fermement sur ce sujet. 

Le dernier livre lu : Je ne lis pas du tout. 
Le dernier film vu : Le troisième Jurassic World, au cinéma. J’ai été très déçue.
Le dernier artiste musical écouté : Le dernier album de Gazo, KMT
La dernière recherche Internet : J’ai cherché un garage pour faire la révision de ma voiture. 

La France vue de ma fenêtre 

L'arrivée du tunnelier Inès dans l'ouvrage d'arrivée, au Blanc-Mesnil, le 30 juillet 2021. 

Le Blanc-Mesnil, Seine-Saint-Denis, 57 498 habitants. 

 

La France vue d’en bas, second chapitre de la série d’été de la chronique « Ils font la France », à retrouver tous les mardis sur l’application et le site internet du 1 hebdo.

23 août 2022
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