Quotidienne

En altitude avec Éric Veyssière, caméraman du Tour de France

Emma Flacard, journaliste

[La France vue d’en haut 1/3] Derniers jours avant la fin du Tour de France ! Éric Veyssière, qui le filme depuis vingt-cinq ans, a raconté à Zadig l’évolution du métier.

En altitude avec Éric Veyssière, caméraman du Tour de France

Éric Veyssière est caméraman en hélicoptère. Un métier périlleux qui a failli lui coûter la vie plus d’une fois. Pour la vingt-cinquième année consécutive, il participe à cet événement populaire et exaltant qu’est le Tour de France. Séquences anticipées à l’avance, images en haute définition, restrictions de tournage liées à la protection de certaines zones naturelles… En un quart de siècle, le métier a bien évolué. 

La France qu’il survole depuis des dizaines d’années ne manque pas de l’émerveiller. Les châteaux cathares, la maison de George Sand, le mont Blanc… Et parfois, des surprises comme la silhouette d’un cycliste esquissée avec des bottes de foin par des agriculteurs à leur intention. « Filmer le Tour de France, c’est adopter une approche artistique. » 

 

À quoi ressemble votre France ? 


J’habite au Pays basque, à Biarritz. Parfois, on survole en hélicoptère le coin où j’habite. Voler au-dessus des Pyrénées, voir les troupeaux et les cols… c’est magnifique. Ma France est celle qu’on voit du ciel. C’est mon vingt-cinquième tour de France, mais je découvre à chaque fois des paysages différents, même si je commence à connaître le pays. On a la chance de voler à basse altitude ; on aperçoit des châteaux sur des éperons rocheux, les forteresses cathares, les châteaux périgourdins, des maisons d’écrivain… 

Les villes qui reçoivent le tour (et qui payent pour ça) attendent qu’on mette leur patrimoine en valeur. Nous suivons un « roadbook » épais comme la Bible, et dans celui-ci, il y a ce que l’on appelle les « beauties », qui sont des sections durant lesquelles on met les paysages et le patrimoine en valeur en dehors même de la course. Cela peut être la maison de Victor Hugo, celle de George Sand, une fresque au sol que nous n’avions pas anticipée, la silhouette d’un coureur cycliste dessinée avec des bottes de foin par des agriculteurs… On peut faire cinquante séquences de ce type en une étape. Filmer le tour de France, c’est adopter une approche technique, mais aussi artistique. 

Ce sont également de grands moments, comme les séquences captées sur le mont Blanc sous un temps magnifique, l’année dernière : nous voyions un alpiniste monter et nous avons filmé toute la vallée en direct. Ce sont des moments de grande satisfaction. 

 

Comment êtes-vous arrivé là ? 


J’ai commencé ce métier, caméraman d’hélicoptère, tout jeune. J’avais vingt ans. J’ai travaillé pour Antenne 2, pour le magazine Giga, et j’ai fait pendant quinze ans des films animaliers pour l’émission Chroniques de l’Afrique sauvage, sur France 3. J’ai également tourné pour La Carte aux trésors, sur France 3, avec Sylvain Augier… Puis il y a eu le Rallye Dakar – c’était ma trentième émission cette année ! J’ai aussi collaboré à des fictions : Largo Winch, From Paris with Love… 

Je regardais le Tour de France quand j’étais gosse, dans les années 1970, quand il y avait Eddy Merckx. On était tous en coureurs cyclistes au Pays basque, on aimait tous nos vélos… On faisait le tour d’Arcangues, un petit village, avec nos casquettes de coureur. Si on m’avait dit à l’époque : « Vous aurez la chance de le filmer vu du ciel »… 

Tout est anticipé, au kilomètre près

J’ai commencé à travailler sur le tour de France il y a vingt-cinq ans. Je venais d’avoir un gros accident sur le Dakar, j’avais décidé de mettre le pied à l’étrier. Beaucoup de gens partaient à la retraite et France TV m’a proposé de faire des prises de vues aériennes pour l’émission, et ça a bien marché. Ce n’était pas encore un système gyrostabilisé – lorsque l’on commande la caméra depuis l’intérieur de l’hélicoptère. On avait la caméra à l’épaule. Ça pouvait être dangereux ! Au départ, on filmait les paysages en dilettante, on avait une caméra pour le sport et une autre pour les grands angles et les paysages. C’était encore artisanal, on ne retransmettait pas tout, il n’y avait qu’un hélicoptère et qu’une caméra à bord, on n’utilisait pas de « roadbook » ni de fil conducteur… Maintenant, c’est devenu une grosse usine, d’un point de vue technique. Le niveau d’exigence est très élevé, le réalisateur fait un repérage à l’année, rencontre toutes les chambres de commerce, les intervenants, etc., et nous fournit, en début de tour, ce qu’il a repéré dans son « roadbook ». C’est un découpage comme un long-métrage, tout est anticipé, au kilomètre près.

On cherche à mettre en valeur le patrimoine, mais sans délaisser la compétition sportive

Il faut savoir qu’une moitié de l’audience s’intéresse sans doute davantage aux paysages, à la France vue du ciel, qu’à la course en elle-même. Alors on a travaillé sur cet aspect. On cherche à mettre en valeur le patrimoine, mais sans délaisser la compétition sportive ! Il en faut pour tout le monde. On a deux hélicoptères qui se relaient en continu maintenant. On fonctionne en « tiroirs » en quelque sorte : un hélicoptère filme les paysages ou la course, un autre retransmet les images et les envoie à un point spécifique pour regonfler le signal numérique, et un avion vole plus haut dans le ciel, c’est le plafond de secours. Il y a aussi le point relais, qui reçoit le signal qu’on envoie, le regonfle et le renvoie à une ligne d’arrivée. J’ai deux caméras dans l’hélicoptère, une grande focale pour les coureurs, l’autre sert à alimenter le programme avec des paysages. 

Le Tour reste un événement populaire, toujours gratuit, alors qu’aujourd’hui, si on veut regarder le sport, il faut aller sur Canal + et payer un abonnement. Le succès est d’ailleurs énorme, les gosses et les familles se mettent en travers de la route partout où l’on passe… Et en matière d’audimat, l’événement atteint la troisième place mondiale !

 

Quelles œuvres vous ont accompagnées ? 


Les documentaires animaliers que Frédéric Rossif et Hugo van Lawick ont tournés en Tanzanie : ces messieurs m’ont fait rêver quand j’étais gosse. Je me disais : « Mais quel beau métier que de pouvoir partir en Afrique et filmer des animaux ! » C’était mon rêve d’enfant. J’ai aussi beaucoup appris de Yann Arthus-Bertrand, avec qui j’ai travaillé sur le documentaire Home pour lequel j’ai capté toutes les images prises en Afrique, un continent que je connaissais déjà un peu grâce aux tournages du Rallye Dakar. J’ai appris de sa composition de l’image, de sa façon de travailler… J’en ai tiré profit. 

 

Que souhaiteriez-vous voir changer dans le pays en 2022 ? 


Ça fait quarante ans que je suis caméraman et je voudrais souhaiter bon courage aux jeunes qui arrivent. Avant, tout était plus simple, maintenant il y a beaucoup de restrictions, les heures de travail sont sans limite…  À l’époque, il y avait moins de contraintes au niveau de l’aviation civile, des zones Natura 2000, de l’écologie… Leur existence est bien compréhensible, mais cela change notre manière de travailler. Parfois, on ne peut pas descendre en hélicoptère près d’un espace car il est protégé, on ne peut pas filmer comme on le voudrait parce qu’un arrêté préfectoral l’interdit. Cela peut se révéler frustrant car notre marge de manœuvre est réduite, on doit rester très haut, à mille pieds et faire des plans très larges… Mais encore une fois, on comprend bien la raison de ces mesures. 

Le métier a beaucoup changé. Maintenant, on filme avec un téléphone et on obtient une belle image, alors que moi, j’ai commencé avec une pellicule. Je forme un ou deux caméramans, je ne serai pas éternel, il faut former la relève.

 

Êtes-vous arrivé à bon port ? 


J’ai eu beaucoup de chance, même si j’ai aussi beaucoup travaillé et fait des sacrifices. Ça peut toujours être mieux, mais en ce qui me concerne, j’ai eu trois accidents d’hélicoptère et je m’en suis toujours sorti. Ce n’est pas le cas de certains copains. Je suis toujours vivant, c’est déjà ça. Je suis content de ma vie, j’ai fait des documentaires sur des artistes incroyables, j’ai vu des paysages incroyables. Qu’est-ce qu’on peut demander de plus ? 

 

 

La question que vous aimeriez poser au président de la République : La politique, ce n’est pas trop mon truc, je suis éloigné de tout ça. Je lui demanderais peut-être d’être plus à l’écoute des problèmes des Français, d’être plus humain. 

Le dernier livre lu :  Le Portrait de Dorian Gray, d’Oscar Wilde. 


Le dernier film vu : Le dernier James Bond, au cinéma. Je devais travailler dessus, mais finalement cela ne s’est pas fait, alors je voulais voir ce qu’il en était. 


Le dernier artiste musical écouté : Gilberto Gil. J’ai une belle collection de guitares, je chante pas mal, j’aime la musique et je suis vraiment bercé par la bossa nova. 

La dernière recherche internet : C’était l’hôtel où on allait, en Suisse. Je voulais voir s’il y avait un restaurant. Je ne vous cache pas que, quand on a fini nos journées, ça ne traîne pas. C’est manger, au lit et dodo ! Il faut être d’attaque le lendemain.

La France vue de ma fenêtre : Mont Blanc, Haute-Savoie

 

La France vue d'en haut, premier chapitre de la série d'été de la chronique "Ils font la France", à retrouver tous les mardis sur l'application et le site internet du 1 hebdo.

19 juillet 2022
Retour

Nous vous proposons une alternative à l'acceptation des cookies (à l'exception de ceux indispensables au fonctionnement du site) afin de soutenir notre rédaction indépendante dans sa mission de vous informer chaque semaine.

Se connecter S’abonner Accepter et continuer