Quotidienne

En route avec le tour manager de Sofiane Pamart et Ninho

Iman Ahmed, éditrice adjointe de Zadig et Légende

Emma Flacard, journaliste

[Une semaine aux Francos 2/7] Derniers préparatifs sur scène ! À la veille du démarrage des Francofolies de La Rochelle, le magazine Zadig a rencontré François Faroux, qui gère les tournées de ce pianiste et de ces deux rappeurs. 

En route avec le tour manager de Sofiane Pamart et Ninho

François Faroux est tour manager, il gère les tournées de rappeurs comme Ninho, et plus récemment, celle de Sofiane Pamart.  Il ne voit pas la France, il la sent. « Je peux vous parler de l’énergie de chaque salle mais je ne peux rien vous dire des villes. » Pour François, un lieu est une date.

À cheval entre la logistique et le moniteur de colo, il raconte les gares, les aires d’autoroutes sur lesquelles on ouvre un sandwich triangle, les parkings de salle de concert – ce lieu anodin où le public attend pour une dédicace. Dans ces moments de rencontres qui le marquent, il voit une France précaire, alors que les mots de Ninho résonnent encore : « Minuit pété sous champ', demain j’serai aux Seychelles. » Une réalité sociale oubliée le temps d’un show et qu’il retrouve à la sortie. « Quand le rêve est trop long, le réveil est brutal », dit encore Ninho.

 

À quoi ressemble votre France ?

Je suis né à Melun dans le 77, j’ai grandi en Seine-et-Marne, j’ai passé dix ans à Grenoble et maintenant j’habite à Paris.

Parcourir la France, c’est sympa, on connait des gens aux quatre coins du pays. Mais en réalité, on ne voit rien des villes où l’on passe. On peut vous dire ce qui se passe dans toutes les salles de France, vous dire où il y a une supérette, un tabac, combien de minutes il faut pour aller à la gare… Mais à part ça, on ne connaît pas grand-chose. Le pire, c’est le Zénith, on ne sort jamais de cet énorme cube, on a des « runners » qui vont chercher la nourriture… C’est pas la fête.

« Lorsque l’on se déplace, c’est en tour bus, en train ou en van, et on mange généralement assez mal »

J’ai suivi plusieurs artistes, dont beaucoup de rappeurs français. Une des salles les plus marquantes lors d’un concert, c’était avec Sofiane Pamart, à la salle Pleyel, à Paris. C’était la plus grosse salle de la tournée. Il avait une standing ovation à chaque date. Il y a aussi les Arènes d’Arles, la salle Sébastopol à Lille… Chaque salle a son ambiance.

Lorsque l’on se déplace, c’est en tour bus, en train ou en van, et on mange généralement assez mal. Ça se partage entre des Burger King, des Macdo ou des sandwichs triangle… Ce qu’on trouve sur les aires d’autoroute. Mais quand on est sur les dates de concert, on mange beaucoup mieux, soit on va au restaurant, soit un catering (traiteur) vient.

Comment êtes-vous arrivé là ? 

Au départ, je faisais de la régie de salle, je m’occupais d’accueillir des tour managers et des groupes, j’étais de l’autre côté de la barrière. Avec mes collègues, on donnait une identité, une énergie au lieu. J’adorais ça. J’ai pas mal travaillé à Paris, dans des salles comme La Bellevilloise, Petit Bain, La Place, Le Trianon… Je suis passé par une formation spécialisée dans le spectacle, Les Formation d’Issoudun, et qui forment des régisseurs, des chargés de production… Moi, j’ai fait le cursus de régisseur production. J’ai rencontré l’actuel directeur technique de la salle Pleyel qui était régisseur d’Olivia Ruiz et Shaka Ponk. Sa façon de voir le métier de tour manager m’a donné envie d’essayer. Ils m’ont proposé de faire ma première tournée avec Loïc Lantoine, c’était très humain comme tournée, j’ai commencé à me plaire là-dedans.

« Je suis comme une nounou »

Aujourd’hui, je suis tour manager de Sofiane Pamart depuis 2021 et de Ninho depuis 2018. Je suis comme un chef de chantier, je supervise l’accueil technique et logistique pour que le transport, l’hébergement, se passent dans les meilleures conditions. Avec nos techniciens, nous établissons une fiche technique sur la lumière, la technique, on l’envoie au festival. Les salles sont de mieux en mieux pensées, mais certaines restent très difficiles d’accès. Par exemple, lorsque l’on était en résidence au centre culturel de hip-hop de Paris, La Place, avec Sofiane Pamart, nous avions mal mesuré le monte-charge. Il faisait 2,80 mètres quand le piano en faisait 2,87, et il a fallu le porter pendant trois heures pour essayer de le faire rentrer dans le monte-charge.

Je m’occupe aussi de réserver les hôtels pour les artistes, je me renseigne sur l’heure du repas… Je suis comme une nounou. Pendant les concerts, je suis généralement sur le bord de la scène, et j’interviens s’il se passe quelque chose. Une fois, avec Fianso, à Molenbeek, dans la banlieue bruxelloise, on est tombé dans une embuscade, on s’est fait caillasser sur scène. On était 500 contre 10. Ça s’est calmé et on a réussi à faire le concert.

« J’aime le côté chef de tribu, on emmène tous ces gens-là faire plaisir aux gens »

J’ai une spécialité : le rap français. J’ai un statut d’intermittent du spectacle, certains ont monté des entreprises.  J’ai été intermittent toute ma vie, c’est un statut qui me convient bien. Il n’y a pas que le côté technique, il faut gérer les gens. Le tour manager est gardien de la popote. Ce qui me plait, c’est l’aventure humaine. Si ça se passe bien avec les artistes, les musiciens, les techniciens, chaque jour est une aventure, dans différentes villes. J’aime le côté chef de tribu, on emmène tous ces gens-là faire plaisir aux gens.

Quelles sont les œuvres qui rappellent votre France ?

Ma chanson de tournée c’est Sous le vent, c’est la chanson que tout le monde connait par cœur. On ne l’aime pas particulièrement mais c’est ma chanson pour lâcher la pression dans le bureau de production. Nos artistes de rap nous prennent pour des fous.

« Je suis un franc gaucho, les gouffres sociaux me questionnent »

Il y a aussi La vie qu’on mène, de Ninho. Dans ma carrière, j’ai suivi différents artistes qui m’ont confronté à des gens de différentes classes sociales. Les personnes qui viennent voir Sofiane Pamart ont généralement de l’argent, alors que ceux qui viennent voir Fianso sont plus souvent en galère. On glorifie des rappeurs qui gagnent beaucoup d’argent et en face de ça on voit des gens en difficulté. Je suis un franc gaucho, les gouffres sociaux me questionnent. On starifie des gamins qui ont 25 ans, on leur donne beaucoup d’argent… Le monde du rap est assez curieux. C’est toute une catégorie sociale qui a des difficultés d’agent, de racisme, des problèmes sociaux, de condition et on leur propose des chimères.

Que souhaiteriez-vous voir changer en France ? 

J’aimerais un fonctionnement politique qui prenne les problèmes sociaux à bras le corps, où l’on n’attend pas tout de la méritocratie. Arrêter une politique de pique-assiette et cesser de diaboliser les personnes qui créent des systèmes pour avoir de l’argent. J’aimerais qu’on sorte la France des ghettos, qu’on partage les richesses. Quand je me balade dans Paris et que je vois des personnes sans domicile fixe, je me demande ce qu’on a fait.

Dans le monde du rap, j’aimerais qu’on cadre un peu plus les jeunes rappeurs : on lance souvent des grosses sommes et ce n’est pas leur rendre service. Certains les voient comme des vaches à lait et beaucoup sont déjà fatigués ou ne veulent pas dire non. Je ne sais pas s’ils prennent du plaisir, il faudrait prendre un peu plus soin de ces jeunes artistes. Et leur donner une éducation musicale, leur expliquer le métier des techniciens, de régisseur.

Êtes-vous arrivé à bon port ?

Je suis un éternel insatisfait. Comme beaucoup de régisseurs, j’ai le syndrome de l’imposteur. On travaille avec des gens qui ont des compétences énormes, qui ne sont pas loin du métier d’ingénieur. Des techniciens réseaux qui sont des pointures, des techniciens lumières qui vous créent des shows énormes à la JUL. Et nous, on ne maitrise qu’un peu de technique de chacun de ces corps de métier, alors on se demande comment on est arrivé là.  Alors je ne suis pas arrivé à bon port parce que j’ai encore envie de me former. Mais mon métier est cool, je gagne plutôt très bien ma vie, je peux me payer un appartement à Paris, mon enfant mange à sa faim. Je ne peux pas me plaindre.

 


 

La question que vous poseriez au président de la République : Pourquoi laisser les gens mourir de faim ?  

Le dernier livre lu : La notice de ma Nintendo Switch. Je vous avoue que je ne suis pas un grand lecteur.

Le dernier film vu : C’est plutôt une série : la dernière saison de Stranger Things.

Le dernier artiste musical écouté : Le rappeur Gazo, qui vient de sortir un nouveau titre, Rappel. Les feat annoncés me donnent très envie. J’ai longtemps tourné avec lui et c’était très bien.

La dernière recherche Internet : La National Hockey League (NHL). Je suis un grand fan de hockey alors j’ai regardé le dernier match de la coupe Stanley. En ayant habité dix ans à Grenoble, le hockey est devenu ma passion.

 

La France vue de ma fenêtre

 

La Rochelle, Charente-Maritime, 75 000 habitants.

12 juillet 2022
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