Quotidienne

Dans les pas de Sidy, surveillant à la prison de la Santé

Iman Ahmed, éditrice adjointe de Zadig et Légende

Emma Flacard, journaliste

Sidy est surveillant pénitentiaire à la prison de la Santé, la seule prison dans Paris intramuros. Un métier souvent fantasmé, rarement valorisé. Cette semaine, loin des clichés, Zadig rencontre un représentant de la justice.

Dans les pas de Sidy, surveillant à la prison de la Santé
photos Emma Flacard et Iman Ahmed

Matons, gardiens, surveillants… Les mots abondent et pourtant manquent pour qualifier cette fonction peu connue. Derrière un imaginaire fantasmé, il y a des hommes et des femmes qui assurent un suivi de réinsertion, il y a des barbecues entre collègues et des horaires décalés.

Sidy* est l’un d’eux. Lorsqu’il entend des amis passer le concours pour devenir surveillants pénitentiaires, il commence à y songer lui aussi, attiré par la fonction publique, et intègre la prison de la Santé, à Paris, en 2019. Entre deux services, il raconte à Zadig les descentes de nuit, la cigarette qui rend des détenus fous, l’esprit d’équipe parmi les gardiens, et rappelle le caractère essentiel de son métier. « Sans administration pénitentiaire, il n’y a pas de justice. »

 

À quoi ressemble votre France ?

J’ai grandi à Linguère, à 300 kilomètres au sud de Dakar, au Sénégal. Je suis arrivé en France lorsque j’avais 22 ans. Un de mes cousins avait fait un stage à Montpellier, alors j’ai choisi d’aller dans cette ville, elle me semblait plus familière. Quand je suis arrivé, je ne connaissais personne, je suis allé sur la place principale en me disant que je rencontrerais forcément des Sénégalais. On m’a accueilli pendant quelques semaines, avant que je trouve une chambre étudiante où me loger. J’ai fait des études en médiation culturelle, ensuite en information et communication, un master en sciences politiques et un autre en journalisme. J’ai passé dix ans à faire mes études, j’aimais tellement ça ! À côté, je travaillais dans un restaurant, le soir, en rentrant des cours, puis dans un lycée, comme médiateur professionnel. C’est le métier qui ressemblait le plus à celui de surveillant : on discutait avec les élèves qui étaient souvent absents, on cherchait ce qui n’allait pas…

« J’ai travaillé dans plusieurs rédactions, comme journaliste »

Je suis ensuite allé à Paris, j’ai travaillé dans plusieurs rédactions, comme journaliste. J’ai été chez BFM TV, où je travaillais pour l’émission « BFM story », j’ai travaillé pour Africa24 comme chef d’édition, pour TV Sud… Dans les chaînes d’information en continu comme celles-ci, tu cours partout, tu vas sur le terrain faire des reportages… On dit souvent, au Sénégal, que l’information est plus importante qu’un billet de banque.

Ensuite, j’avais envie de changer d’environnement, et la fonction publique m’attirait. J’ai passé le concours pour entrer à l’Enap (École nationale d’administration pénitentiaire), et je l’ai intégrée, à Agen, pendant six mois. On était logés, nourris, payés… J’étais bien là-bas. J’ai ensuite fait des stages à Poissy, à la maison centrale, puis à Fresnes. À la fin de la formation, j’ai été admis à la Santé, à Paris. Ça tombait bien, c’était près de chez moi. Maintenant, je suis à la moitié de ma vie et j’ai passé autant de temps en France qu’au Sénégal. Je rentre souvent à Dakar, j’hésite à y passer ma retraite.

Comment êtes-vous arrivé là ?

Je ne connaissais rien à la prison. Je voulais entrer dans la fonction publique et je n’avais pas peur des découvertes. Je me souviens du premier jour, j’avais récité toutes sortes de versets parce que j’avais peur. J’ai choisi d’être en détention. Certains choisissent le parloir, d’autres la brigade unité sanitaire ou la QPR (quartier prévention radicalisation). On peut être « matin » ou « nuit », ça signifie qu’on fait 6 h 45-13 h ou 12 h 45-19 h et ensuite une coupure. On peut être aussi DN (descente de nuit) ou RH (repos hebdomadaire).

« Ce service fonctionne 24 h/24 h parce qu’on travaille avec des humains »

Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce service fonctionne 24 h/24 h parce qu’on travaille avec des humains. La nuit, il peut y avoir des extractions ou des arrivants, ceux qui passent leur première nuit en prison. Il faut les récupérer, les fouiller, les enregistrer, prendre leurs effets personnels, leurs empreintes, leur donner leur pack arrivant et les affecter dans leur cellule.

Il y a les équipes qui font les rondes, les miradors. Ce soir, je suis tour 8, dans le quartier de semi-liberté, puis j’ai deux heures de ronde, pendant lesquelles je regarde les cellules et m’assure que tout va bien. Ensuite je suis en piquet, un peu d’astreinte si l’on veut, au cas où il y ait de nouveaux arrivants, puis de nouveau ronde. Dans l’équipe K, celle dans laquelle je travaille, nous sommes 17. Il y a un esprit de solidarité, on est obligés puisqu’on fonctionne par relais. On fait des barbecues quand on peut, on profite.

« La cigarette, ça rend les gens fous ! J’ai vu des détenus se mutiler ou provoquer des incendies à cause du manque »

Ce qui est difficile, parfois, c’est de gérer les addictions, à la cigarette par exemple. La cigarette, ça rend les gens fous ! J’ai vu des détenus se mutiler ou provoquer des incendies à cause du manque.

Avec les personnes détenues, j’essaie d’être pacifique, il faut vouvoyer, trouver la bonne distance. Si ça ne va pas, on sort le Motorola (téléphone de service) et on appelle un renfort.

Dans toutes les cultures du monde, la prison n’a pas bonne presse. C’est pourtant un métier noble : sans lui la justice ne peut pas fonctionner. Moi je suis bien dans ce que je vis. Je peux venir en chantant, quand pour d’autres c’est plus difficile. J’ai grandi au Sénégal, je ne me prends pas la tête.

Depuis cette année, on doit tout le temps porter un gilet pare-lame et anti-perforation. C’est le premier été et quand il fait très chaud comme aujourd’hui, c’est difficile. On les porte depuis l’attaque d’un policier à Marseille. Il faut comprendre que ce qui se passe à l’extérieur impacte l’intérieur. 

Quelles œuvres vous ont accompagnées ?

« J’en rêve encore » de Gérald de Palmas. Je l’ai découverte en 2000. Une fois que j’ai pris mon logement, à Montpellier, je l’ai écoutée. Elle me donnait du courage. Je l’écoute et ça me rappelle cette époque. Quand tu quittes ton pays, tout change.

Qu’est-ce que vous aimeriez voir changer ?

Il faudrait changer de nom pour qualifier notre métier. « Surveillant », c’est trop réducteur. On ne fait pas que surveiller, on fait un travail de prévention de la récidive, de réinsertion (on gère les rendez-vous des personnes détenues, on leur rappelle les activités possibles…), et de sécurité publique. Un terme comme « médiateur » serait peut-être plus adapté ? Quand certains apprennent que je suis surveillant, ils me rétorquent : « Mais quel gâchis ! » Les gens peuvent bien saborder ton métier, mais en attendant, ce ne sont pas eux qui vont remplir ton frigo !

Êtes-vous arrivé à bon port ?

Moi je suis bien où je suis. Même si « comparaison n’est pas raison. » Moi j’ai eu l’éducation du « self-made-man », je me suis débrouillé, je ne suis pas le seul, mais je fais partie de ceux qui se débrouillent. Je ne m’attarde pas sur mon passé, je ne le calcule même pas. Je suis croyant, je fais mon devoir. Je suis au cours de ma vie, encore en construction. C’est à la retraite que je pourrai faire une rétrospection. Côté carrière, je vais sûrement passer des concours en interne pour être officier.

 


 

La question que vous voudriez poser au président : Pourquoi êtes-vous toujours complaisant envers les présidents corrompus ? Aujourd’hui, il y a des jeunes qui traversent la Méditerranée en bateau pour immigrer. Les dirigeants des pays qu’ils quittent, comme le Gabon par exemple, détournent les fonds publics, et achètent des appartements en France. Il y a une certaine complaisance de la part du gouvernement français envers cette élite africaine. La France veut lutter contre l’immigration mais la manière dont elle le fait aujourd’hui revient à casser le thermomètre pour baisser la température. Si les fonds publics étaient restés en Afrique, peut-être que je n’aurais pas quitté mon pays.

Le dernier livre lu : La Tresse, de Laetitia Colombani.

Le dernier film vu : Le dernier Top Gun. J’ai le ciné-pass, donc je vais souvent au cinéma.

La dernière recherche Internet : En me préparant pour cet entretien, j’ai recherché le nom de la chanson que je viens d’évoquer, car je ne m’en souvenais plus.

La France vue de ma fenêtre

Prison de la Santé, Paris, 2 175 601 habitants

 

* Le prénom a été changé.

28 juin 2022
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