Quotidienne

Hors des sentiers battus : itinéraire d’un globe-trotteur à deux roues

Iman Ahmed, éditrice adjointe de Zadig et Légende

Emma Flacard, journaliste

Avec son association Wheelchair on the road, Kevin Pees-Martin propose des guides de voyage accessibles aux personnes à mobilité réduite, et à bas prix. Verdon, Islande, Lanzarote… Un hors-piste pour des personnes à mobilité réduite.

Hors des sentiers battus : itinéraire d’un globe-trotteur à deux roues

L’accessibilité a un prix, celui de l’information. Kevin Pees-Martin, paraplégique depuis dix ans, à la suite d’un accident de voiture, guette les voyages adaptés aux personnes handicapées ou âgées. Alors que des agences de voyages spécialisées dans le handicap font payer des sommes faramineuses aux baroudeurs à mobilité réduite, le Bordelais invente ses propres guides à bas prix. Il piste les logements, les transports et les sites touristiques du monde entier, et vérifie sur place, lors de ses voyages, leur accessibilité.

De la Croatie aux gorges du Verdon, voyage sur les traces d'un globe-trotteur à deux roues. 

 

À quoi ressemble votre France ?

J’habite Pessac, je suis né à Bordeaux. Le relief de la ville est plutôt plat, au niveau tourisme et de l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite, c’est une ville très accessible. J’ai beaucoup voyagé en France pendant le Covid. C’est une destination très facile car les offices de tourisme connaissent déjà très bien le territoire, et sont assez familières des questions d’accessibilité. On a fait les gorges du Verdon, Marseille, Montpellier, La Rochelle et là on va faire Saint-Malo et Étretat. Je voyage autant que je peux hors saison. 

Je travaille à Bordeaux Métropole, au service des finances. Je suis gestionnaire administratif de projets. Ma compagne m’aide pour la réalisation des guides.

Comment êtes-vous arrivé là ?

L’histoire commence en 2012, j’avais 20 ans et je me suis endormi au volant. Je suis devenu paraplégique.

« Je me concentre sur les destinations touristiques pour lesquelles les informations sont difficiles d’accès »

Très vite, j’ai voulu voyager. Le problème, c’est que les informations sur les lieux accessibles pour les personnes à mobilité réduite n’étaient pas faciles d’accès, soit inexistantes, soit détenues par des agences qui négocient à prix fort cette information. C’est le cas de cette agence de voyages spécialisée qui, pour l’Islande, estimait le devis total du voyage à 12 000 euros quand je m'en suis sorti avec 3 000 euros. Ils ont toutes les informations donc ils se gavent.

Pour préparer mes voyages, j’ai commencé à effectuer des recherches sur les hébergements accessibles, le transport, les sites d’intérêt et j’ai voulu créer un guide de voyage pour en faire profiter les autres. Je me concentre sur les destinations touristiques pour lesquelles les informations sont difficiles d’accès – les capitales ou grandes métropoles, comme Paris, Londres ou Barcelone, sont souvent très accessibles. Au début, je contactais les hôtels et je leur demandais s’ils étaient accessibles, mais j’ai vite compris que nous n’avions pas tous la même définition de ce qui est accessible. Désormais, je demande des photos et je me rends sur place pour constater la réalité de l’accessibilité. En Islande par exemple, l’accès à un canyon se faisait par une centaine de marches : ce n’était pas vraiment accessible ! Vienne et Sydney sont des villes très accessibles, elles sont en avance sur nous. En Australie, si on fait une réservation 48 heures en avance, ils proposent un ascenseur dans un bus qui permet de monter en fauteuil roulant.

« Je réalise que ce qui intéresse les usagers du guide, c’est de voir que j’ai été sur place, montrer qu’on peut le faire et rassurer »

Au début du projet, j’avais contacté Lonely Planet et Le Routard, mais je n’avais jamais eu de retour. Je réalise que ce qui intéresse les usagers du guide, c’est de voir que j’ai été sur place, montrer qu’on peut le faire et rassurer. Le guide existe pour la Croatie, Lanzarote et j’en prépare quatre qui sortiront l’année prochaine, dont l’Islande en septembre. Les guides sont rédigés en français et traduits en anglais. C’est de l’autoédition, en vente sur Amazon, ce qui pose pas mal d’inconvénients : le livre n’est par exemple pas disponible dans tous les pays, or j’ai des demandes de Russie. Je vais désormais opter pour une diffusion numérique, avec des critères d’accessibilité en fonction des besoins de chacun. S’il y a un site touristique exceptionnel avec une seule marche, je l’intègre, mais j’indique les contraintes. 

Mon envie, c’est d’ouvrir à des destinations hors des sentiers battus, hors des villes. Montrer qu’en fauteuil manuel ou électrique, c’est possible de visiter l’lslande, le Verdon, même si ça demande de l’anticipation et de l’organisation.

Quelles œuvres vous ont accompagnées ?

Je dirais L’homme qui marchait dans sa tête de Patrick Segal, un livre qu’on m’avait offert après mon accident. C’est l’histoire de l’auteur qui, un jour, prend une balle dans la colonne et décide, en fauteuil, de partir à l’autre bout du monde. On est dans les années 1980 et il parvient à aller jusqu’en Asie. Quand on voit déjà à quel point c’est compliqué aujourd’hui, c’est fou d’imaginer ce projet à son époque !

Que souhaiteriez-vous voir changer dans le pays en 2022 ?

Il reste en France encore beaucoup de travail à accomplir pour la sensibilisation au handicap. Il y a certaines personnes qui ne sortent plus à cause du regard des gens. J’aimerais qu’on se familiarise avec le handicap, que les gens comprennent qu’on n’est pas si différents. Dans d’autres pays, ce n’est pas le cas : en Australie par exemple, les gens ne nous regardent pas pareil, le contact n’est pas le même.

Êtes-vous arrivé à bon port ?

Ma vie me plait aujourd’hui, je suis heureux. Ça me plairait de continuer à m’investir dans le guide et à m’y consacrer pleinement. Je m’efforce d’avoir une vue d’ensemble sur les pays, j’essaie de ne pas tomber dans le blog, plutôt donner la vue la plus complète possible. L’année prochaine, je vais au Salon du tourisme à Paris et au Salon Autonomic à Bordeaux.

 


 

La question que vous poseriez au président de la République : Je l’inviterais à passer un peu de temps dans un couple handi-valide qui ne perçoit pas l’allocation adulte handicapé (AAH), pour comprendre les conflits et la dépendance que cela peut créer. L’individualisation de l’AAH avait été refusée, elle évitait pourtant la dépendance au compagnon valide.

Le dernier film vu : Dune, de Denis Villeneuve.

Le dernier livre lu : Latitude Zéro, de Mike Horne.

Le dernier artiste musical écouté : Lomepal, sa dernière chanson parue jeudi dernier, « Auburn ».

La dernière recherche Internet : J’ai recherché les endroits accessibles à Los Angeles, car on prévoit de faire la côte ouest des États-Unis l’année prochaine. C’est l’un des pays les plus accessibles, mais étrangement il y a peu d’informations sur l’hébergement.

 

La France vue de ma fenêtre

Pessac, Gironde, 67 509 habitants.

05 juillet 2022
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