Un été sous 22 degrés : le retour du champignon à Scorbé
[La France vue d’en bas 1/3] Plongée dans une carrière de pierres de tuffeau à Scorbé-Clairvaux avec Marie-Josée qui reprend son activité de cueilleuse de champignons, après vingt ans d’arrêt. « Le champignon n’attend pas. »
À Scorbé-Clairvaux, on fête en fanfare le grand retour du champignon. Carrières et usines avaient fermé dans les années 2000, la production industrielle du territoire ne pouvait résister à la compétition néerlandaise, là-bas les champignons avaient quitté les caves pour des hangars.
Mais vue d’en bas, en vingt ans, la situation a changé : la tendance n’est plus au champignon à la grecque, issue d’une production industrielle, mais au champignon frais, dont la consommation a presque doublé. Alors, près de vingt ans après, on rouvre les portes des anciennes carrières pour réhabiliter les lieux, préparer la cohabitation avec les chauves-souris et le démarrage de la production à la fin du mois. « On vient d’installer les ampoules, à mon époque c’était tout noir ». Marie-Josée sait très bien où elle met les pieds, en 1999 elle travaillait dans la carrière et va désormais reprendre la cueillette après une longue période de chômage.
Elle raconte cette réouverture pleine d’émotion, préparée depuis trois ans et demi avec d’autres habitants sans activité professionnelle. Lancée dans le cadre des expérimentations territoriales contre le chômage de longue durée et porté par l’association Tope 5, la relance de la champignonnière devrait embaucher 10 employés et produire à terme 700 000 euros de pouvoir d’achat sur le territoire.
À quoi ressemble votre France ?
Je suis née ici, à Scorbé-Clairvaux. Je me plais bien, j’y ai passé toute ma vie. Mes parents habitaient à 1,5 kilomètre. Depuis gamine, j’ai vu les lieux changer, des maisons se construire — on est à la limite de Châtellerault, pas très loin de Poitiers, les gens travaillent là-bas et construisent ici, j’ai vu des usines fermer et des activités changer.
Dans la Vienne, par exemple, il ne reste pratiquement plus de champignonnières, il y en a du côté du Maine-et-Loire oui, mais ici je crois qu’on est seulement la deuxième cave. Avant c’était un territoire de champignons, il y avait des caves et des usines de transformation, mais elles ont fermé dans les années 2000 à cause de la compétition internationale. On a voulu cultiver le champignon à l’extérieur, hors des caves, dans des hangars, les gens ont voulu aller vite, produire, produire. La Hollande et la Belgique sont devenues des producteurs industriels et ici on a perdu notre savoir-faire sur le champignon blanc.
C’était courant, ici, de travailler dans les carrières à champignons
Avant d’être au chômage, j’ai été cueilleuse dans différentes champignonnières du coin, pendant trois ans en 1979 à Marigny-Brizay, j’avais 19 ans et c’était mon premier travail, et en 1999, dans la cave où on est aujourd’hui. C’était courant, ici, de travailler dans les carrières à champignons, dans les usines de transformation ou les conserveries. Et pour avoir un peu d’argent, j’ai aussi fait différents petits boulots, des marchés, des ménages, des gardes d’enfants…
La cave où on se trouve était une ancienne carrière en pierre de tuffeau, une pierre sableuse de couleur crème, qui avait été creusée pour construire le château qui est juste à côté (le château du Haut-Clairvaux). À l’époque où j’y travaillais, dans les années 99, elle n’avait jamais été cartographiée. Cette année, l’un d’entre nous s’est baladé dedans des jours entiers avec sa lampe torche pour faire un plan. On sait maintenant qu’elle fait autour de 1,5 hectare, mais la zone qui a été réhabilitée est composée de six galeries, dont deux qu’on ne peut pas exploiter, car elles sont réservées aux chauves-souris. À l’époque, on ne faisait pas attention à elles, maintenant on nous dit d’apprendre à les connaitre, d’ailleurs elles sont importantes, elles mangent les moustiques.
Plan de la cave. © Iman Ahmed.
Comment êtes-vous arrivée là ?
Il y a trois ans, une amie sans emploi comme moi m’a parlé de l’EBE (Entreprise à But d’Emploi). J’ai participé aux réunions publiques et quand j’ai entendu parler du projet de rouvrir la carrière j’ai dit « moi j’ai déjà travaillé ici, je connais ! ». On a mis trois ans à mettre en place le projet, c’est long, maintenant on a tous hâte qu’elle ouvre.
Avant, on avait une voiture sans permis, mais on a dû la vendre
J’ai rejoint l’EBE après une longue période de chômage, j’ai travaillé sur différentes missions, de la ressourcerie à l’écopâturage, et en septembre je travaillerai pour la cueillette à champignons. Ici, on ne parle pas de « chef », mais de « pôle référent ». En ça, c’est différent d’autres entreprises, mais ce qui est important c’est surtout que ça me permet d’avoir un salaire. On en avait besoin, car mon mari a une petite retraite et vu ce qui se passe actuellement… La vie est dure, quand on fait les courses on arrive maintenant à plus de 100 € de dépenses. Et puis le prix du carburant… Avant, on avait une voiture sans permis, mais on a dû la vendre. On met des sous de côté pour en racheter une autre. Je circule à vélo ou parfois en scooter, sinon entre collègues on covoiture. Ça sera le cas pour venir ici. Les premiers racks à champignons vont arriver en août et seront installés dans la carrière, au frais, il fait autour de 22 degrés. Dans ces racks, on met le substrat, c’est dans cette matière que poussent les champignons bruns qu’on cultive. Ce champignon du terroir aura du goût. Ensuite peut-être qu’il y aura des pleurotes ou des shiitakes.
J’arriverai pour la cueillette, elle commencera sept semaines plus tard. En sept semaines, avec douze racks, on espère produire 600 kilos par semaine. Cueillir un champignon demande d’être délicate, il faut le prendre par la tête et tourner, surtout ne pas tirer.
Quel souvenir vous accompagne ?
Quand on prépare l’ouverture de la carrière, je pense parfois aux gens qui y travaillaient avec moi, au début. Les conditions en bas n’avaient rien à voir, il n’y avait ni lumière, ni ventilation, ni sortie de secours. D’ailleurs, les champignons poussaient dans des sacs de substrat, ils étaient posés par terre donc on passait la journée courbée. Je m’en souviens bien, car à l’époque, j’étais enceinte.
En cas de maladie, on désinfectait tout au formol
On passait la journée à cueillir avec des lampes torches. On faisait 8 heures - 12 heures et 13 heures 30 - 18 heures, mais en fait il n’y avait pas vraiment d’heure de débauche : on travaillait en fonction de la pousse des champignons, s’il en restait à cueillir alors on devait rester, car le champignon n’attend pas. C’est tellement fragile.
Les bons champignons, on les posait dans un panier. Sur ce panier, on accrochait une boîte de conserve dans laquelle on mettait les mauvais. Ils partaient à la conserverie et pour les trop mauvais, les agriculteurs venaient les chercher pour les mettre dans leur champ de maïs. On faisait attention aux maladies et aux toiles d’araignées qui recouvraient les champignons d’un voile blanc, ça arrivait parfois en fin de cueillette. En cas de maladie, on désinfectait tout au formol.
Que souhaiteriez-vous voir changer en France ?
Je me dis que l’emploi c’est une question importante, que chacun puisse trouver un travail pour vivre correctement, car la vie est dure. Les prix étaient moins chers avant, on a eu le franc avant l’euro, c’était moins cher.
Êtes-vous arrivée à bon port ?
Ce qui est le plus important pour moi, c’est la santé. Certains arrivent à mon âge, 60 ans, et n’ont pas une bonne santé.
Le dernier livre lu : Je lis parfois le journal d’ici, mais pas tout le temps, car à force il coûte cher.
Le dernier film vu : Le documentaire de Marie-Monique Robin « Nouvelle cordée », sur les Territoires zéro chômeur. Elle montre les autres expérimentations qui se passent dans les Deux-Sèvres, à Mauléon par exemple, mais aussi dans le Nord, en Bretagne, dans la Meuse.
Un artiste qui vous a marqué : Mike Brant, c’était le beau mec. « Qui saura » passait à la radio et au bal de Scorbé. J’aime toujours guincher.
La France vue de ma fenêtre
Scorbé-Clairvaux, Vienne, 2 300 habitants
La France vue d’en bas, second chapitre de la série d’été de la chronique « Ils font la France », à retrouver tous les mardis sur l’application et le site internet du 1 hebdo.