« Autoriser l’exploitation des fonds marins est totalement anachronique »
Alors que la Conférence sur les océans de l’ONU s’est tenue à Lisbonne du 27 juin au 1er juillet, le 1 revient sur les enjeux de protection de ces immenses espaces avec le biologiste Romain Troublé, directeur de la Fondation Tara Océan.
Que s’est-il passé à la Conférence des Nations unies sur l’océan à Lisbonne la semaine dernière ?
Avec la pandémie, cette conférence n’avait pu avoir lieu depuis cinq ans, c’était donc l’occasion pour l’ensemble de la « communauté océan » de s’y retrouver et de réaffirmer ses engagements. L’agenda de l’ONU pour 2030 n’est pas contraignant mais il permet aux différents États de prendre la parole pour soutenir la protection de l’océan et d’encourager la communauté scientifique.
Une question majeure qui a pu y être évoquée est celle du financement, qui manque encore cruellement, pour tenir les engagements de la Décennie des Nations unies des sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030). Le secrétaire général a fait un discours tonitruant au début de la conférence pour rappeler l’urgence actuelle et la nécessité d’un changement de cap immédiat.
« La France a promis de soutenir massivement la recherche scientifique »
2022 est une année importante pour la protection de l’océan : à l’initiative de la France, et notamment de son ambassadeur des pôles et des enjeux maritimes, Olivier Poivre d’Arvor, la question de la protection des océans avait déjà fait l’objet de discussions au One Ocean Summit de Brest en février dernier.
En mars, à Nairobi, le principe d’un traité international contre la pollution plastique a été adopté par l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement et doit aboutir à un texte juridiquement contraignant d’ici à 2024. Et il y a quinze jours, l’OMC a accouché d’une résolution historique visant à lutter sérieusement contre la surpêche en encadrant les subventions et la pêche illicite.
Quelle était la position de la France sur l’exploitation des ressources marines ces dernières années ?
La position de la France a toujours été assez ambiguë à ce sujet car elle maintenait un flou entre les termes « exploitation » et « exploration ». L’amalgame entre les deux était assez problématique. Mais désormais, la France a clarifié son point de vue et a promis de soutenir massivement la recherche scientifique à ce sujet, notamment sur les fonds marins.
Par ailleurs, le Chili, en coopération avec d’autres États, a proposé une initiative visant à prendre le temps d’évaluer les enjeux et les impacts de l’exploitation minière en haute mer afin de clarifier dans le droit international une éventuelle interdiction.
Le président français a parlé d’élaborer un « cadre légal pour mettre un coup d’arrêt à l’exploitation minière des fonds en haute mer » : est-ce une bonne solution ?
L’exploitation de notre planète va déjà très loin, on a déjà beaucoup extrait, alors il serait plus logique d’investir dans la réutilisation des matières que l’on a déjà avant d’exploiter ces fonds marins. Si l’on y creuse, les sédiments remués vont se soulever et créer d’énormes courants de boue qui vont venir altérer des écosystèmes entiers. Alors que l’on ne les connaît même pas !
« On connaît encore très peu de choses sur les fonds marins aujourd’hui »
Si cette question a ressurgi aujourd’hui, c’est notamment parce que Nauru [État insulaire d’Océanie], dont l’économie dépend énormément des compagnies minières internationales, a notifié les institutions onusiennes de son intention d’exploiter les fonds marins. Et selon le règlement de l’Autorité internationale des fonds marins, sous l’égide de l’ONU, une telle demande ouvre une période de deux ans durant laquelle cette autorité doit statuer en proposant une réglementation. Si elle n’y parvient pas dans le délai imparti, l’exploitation peut commencer selon les règles en vigueur aujourd’hui. Autoriser l’exploitation des fonds marins au moment même où l’on négocie un texte sur la protection de la haute mer, c’est totalement anachronique.
Dans quel état sont les fonds marins dans le monde aujourd’hui ?
On connaît encore très peu de choses sur les fonds marins aujourd’hui. C’est seulement il y a une trentaine d’années que l’on a découvert qu’il y avait de la vie alors que l’on pensait que c’était impossible.
« Les océans se réchauffent considérablement, l’acidité des mers augmente et la pollution plastique est partout »
Ces recherches demandent énormément de moyens financiers et technologiques. Avant d’aller sur Mars, il faudrait en savoir plus sur ces fonds marins.
Quelles sont les prochaines mesures internationales en discussion qui doivent assurer la protection des océans ?
La Conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine de l’ONU, après plusieurs mois de négociations, doit aboutir d’un texte important en août prochain sur la question de la gouvernance en haute mer. Il ne faut pas oublier que cette zone représente près de 50 % de la surface du globe.
Ensuite, la COP15 sur la biodiversité doit se tenir en décembre à Montréal et un texte garantissant la protection de 30 % des territoires marins de la planète doit y être voté. Même si ces objectifs ne seront pas atteints pour 2030, il est important de fixer des objectifs communs afin d’avancer dans la même direction.
Il faut être à la fois réaliste et optimiste quant à la situation actuelle des océans. Tout d’abord, il faut reconnaître l’état de crise que nous vivons : les océans se réchauffent considérablement, l’acidité des mers augmente et la pollution plastique est partout. Tout cela impacte durablement les écosystèmes et crée des problèmes immédiats de santé publique dans le cas des particules microplastiques. Cependant, il faut rester optimiste sur les solutions que l’on a à apporter. Même si cela ne va pas assez vite, puisque la planète est une sorte d’immense copropriété que seule l’ONU peut gérer, il faut continuer de travailler dans ce sens.
Conversation avec FLORIAN MATTERN
Bio express
Biologiste de formation, Romain Troublé est président de la Plateforme Océan & Climat qui réunit une centaine d’acteurs (ONG, entreprises, collectivités) pour faire des plaidoyers communs sur la question de la protection des océans. Il est aussi directeur de la Fondation Tara Océan qui organise des expéditions scientifiques avec la goélette Tara pour étudier le microbiome marin, la biodiversité marine microscopique.