Quotidienne

Que reste-t-il de la culture papoue en Nouvelle-Guinée ?

Lou Héliot, journaliste

Pascale Bonnemère, Anthropologue

[Peuples autochtones 6/6] Les habitants de Papouasie-Nouvelle-Guinée sont l’un des rares peuples autochtones à avoir obtenu le contrôle politique de leur territoire. Un éclairage de l'anthropologue Pascale Bonnemère. 

Que reste-t-il de la culture papoue en Nouvelle-Guinée ?
Hommes papous sur un canot de commerce ou de pêche, Port Moresby, Nouvelle-Guinée britannique. Photographie originale d'un photographe italien inconnu, vers le début des années 1900. © Wikimedia Commons

À quand remonte l’histoire des Papous ?

Il faut d’emblée préciser que lorsque l’on parle des Papous aujourd’hui, cela recouvre en réalité plusieurs situations différentes. On appelle Papous les populations autochtones de la Nouvelle-Guinée, une immense île de l’Océanie située au nord de l’Australie. Cette île est scindée en deux. Vous avez à l’est la Papouasie-Nouvelle-Guinée, indépendante depuis 1975 et administrée par les Papous, et vous avez à l’ouest la Papouasie et la Papouasie occidentale, deux provinces de l’État indonésien. La situation des Papous dans ces deux parties est radicalement différente.

Cela étant dit, ils partagent une histoire commune, qu’on a pu faire remonter jusqu’à la préhistoire, aux temps glaciaires, lorsque l’Australie et la Nouvelle-Guinée ne formaient qu’un seul continent. On suppose que des gens originaires de l’Asie du Sud-Est voisine ont fait le voyage dans de frêles embarcations jusqu’à ces côtes et se sont dispersés dans toute cette région : Australie, Nouvelle-Guinée et, plus tard, archipel Bismarck, îles Salomon, île Bougainville… Ensuite, à la faveur d’un réchauffement climatique qui a débuté il y a environ douze mille ans, les terres entre les différentes îles ont été recouvertes et la Nouvelle-Guinée s’est trouvée isolée de l’Australie. Des navigateurs venus d’Asie du Sud-Est et parlant des langues dites austronésiennes ont découvert ces terres il y a environ quatre mille ans et s’y sont établis, se mélangeant à la population présente depuis plusieurs dizaines de milliers d’années.

Dans quel cadre les premiers contacts avec les colons occidentaux ont-ils eu lieu ?

Les premiers contacts ont lieu au cours du XIXe siècle. En deux mots, la partie ouest de la Nouvelle-Guinée est incorporée aux Indes orientales néerlandaises, les Allemands fondent la Compagnie de Nouvelle-Guinée dans le nord-est du territoire et l’Empire britannique établit un protectorat sur la partie sud-est. Lorsque l’Allemagne perd ses colonies après la Première Guerre mondiale, l’Australie reçoit autorité pour administrer le territoire à l’est. Malgré des premiers contacts parfois difficiles, ce sont les missionnaires qui ont les relations les plus étroites avec les populations. Des écoles et des églises sont ouvertes.

Au cours du XXe siècle, l’Australie a un impact très important sur l’histoire des Papous…

En effet, à partir du moment où la Papouasie-Nouvelle-Guinée passe sous mandat australien au début du XXe siècle, l’Australie devient très impliquée dans son histoire et son évolution. Des administrateurs sont envoyés dans les endroits les plus reculés pour explorer des territoires qu’ils croyaient vierges et y découvrent dans les années 1930 des populations importantes, installées dans les larges vallées des hauts plateaux, qui pratiquent une agriculture datant de neuf mille ans, avec des systèmes d’irrigation complexes ! Des chercheurs d’or y effectuent des prospections minières, parfois au prix d’altercations avec les locaux. Dans les villes, les Australiens ouvrent des grands magasins, des commerces en tout genre… Et ce jusqu’à l’indépendance de 1975.

Comment s’est déroulé le processus d’indépendance de la Papouasie-Nouvelle-Guinée ?

Cela s’est fait de manière relativement douce, sur une impulsion du gouvernement australien. Il faut savoir qu’il n’y a pas à ce moment-là de véritable revendication d’indépendance nationale parmi les Papous de cette région, tout simplement parce qu’ils vivent le plus souvent en communautés de langues et de cultures différentes, parfois éloignées les unes des autres et dans des régions souvent peu accessibles. Les routes sont rares, aucune ne relie par exemple la capitale, Port Moresby, et les hauts plateaux densément peuplés. L’indépendance s’est donc d’abord faite par le biais du gouvernement australien, puis s’est ensuite cristallisée autour de la personne de Sir Michael Somare, homme politique papou originaire de l’est de l’île, chef du gouvernement autonome et plusieurs fois Premier ministre par la suite. Beaucoup voient en lui le père de la Nation.

Aujourd’hui, les Papous de la partie orientale de l’île sont l’un des très rares peuples autochtones à avoir obtenu le contrôle politique de leur territoire

On peut donc considérer que l’accession des Papous de Papouasie-Nouvelle-Guinée à l’indépendance s’est faite d’une manière assez exemplaire, même si les Australiens ont bien sûr longtemps conservé la mainmise sur l’économie et la politique étrangère. Mais, aujourd’hui, les Papous de la partie orientale de l’île sont l’un des très rares peuples autochtones à avoir obtenu le contrôle politique de leur territoire.

Les Papous d’Indonésie sont-ils dans une situation similaire ?

Pour les Papous d’Indonésie, qui vivent dans la partie ouest de l’île, la situation est radicalement différente. À la fin du XIXe siècle, les îles indonésiennes et la partie ouest de la Nouvelle-Guinée sont sous contrôle néerlandais. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la Hollande reconnaît l’indépendance de l’Indonésie, mais annonce garder la mainmise sur la province néo-guinéenne. L’Indonésie s’y oppose immédiatement, mais ce n’est qu’en 1963 que les Nations unies lui donnent raison et qu’elle obtient l’ouest de l’île.

Un mouvement séparatiste demande depuis plusieurs années l’autonomie, mais il a été à plusieurs reprises violemment réprimé par les autorités indonésiennes

Une indépendance réussie pour l’Indonésie donc, mais absolument pas pour les Papous de cette région, qui sont extrêmement mal considérés par la société et le gouvernement indonésiens. Pour endiguer la surpopulation de certaines îles indonésiennes, le gouvernement poursuit un programme de relocalisation entamé sous la période coloniale (appelé transmigrasi), au grand dam des Papous.

Existe-t-il des revendications autonomistes dans cette région ?

En effet, un mouvement séparatiste demande depuis plusieurs années l’autonomie, mais il a été à plusieurs reprises violemment réprimé par les autorités indonésiennes. Jakarta n’a en effet nullement l’intention d’abandonner cette province, d’autant plus qu’elle abrite une importante mine d’or, qui génère beaucoup de revenus et d’emplois. Quant aux Papous de Papouasie-Nouvelle-Guinée, ils accueillent souvent des Papous qui traversent la frontière, mais ils ne peuvent pas ouvertement prendre position, de crainte d’avoir des problèmes avec l’Indonésie.

Comment la culture papoue est-elle mise en avant en Papouasie-Nouvelle-Guinée ?

Il est difficile de parler d’une culture papoue, tant il y a de cultures et de traditions diverses. On compte ainsi pas moins de 800 langues sur l’île, toutes différentes et toutes parlées ! Pour ce qui est des rites, certains existent encore, d’autres ont été édulcorés, remplacés par des rites chrétiens ou simplement abandonnés par décision des autorités coloniales. C’est le cas par exemple de certaines pratiques d’exposition du corps des défunts sur des plateformes. Aujourd’hui, ils sont tous enterrés.

Au niveau public, la célébration des cultures papoues se fait surtout au moment de la fête de l’indépendance, le 16 septembre. Elle prend le plus souvent la forme de « shows », c’est-à-dire de grandes rencontres entre les différents groupes, vêtus de leurs attributs traditionnels. Ces shows ont à l’origine été organisés par les colons australiens, mais ils sont toujours très prisés par la population, ainsi que par les touristes. D’ailleurs, le ministère de la Culture en Papouasie-Nouvelle-Guinée est aussi celui du tourisme !

Propos recueillis par LOU HÉLIOT

 

Bio express

Pascale Bonnemère est anthropologue, spécialiste de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, directrice de recherche au CNRS et présidente de la Société des océanistes. Elle a récemment publié un recueil d’entretiens avec le réalisateur Christopher Owen, A life committed to Papua New Guinea : conversations with Christopher Owen, filmmaker chez Galda-Verlag.

 

 

 

24 août 2022
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