Quotidienne

Que reste-t-il de la culture des Premières Nations au Canada ?

Florian Mattern, journaliste

Brian Gettler, historien

[Peuples autochtones 5/6] Regroupés sous l’appellation de Premières Nations, les peuples autochtones du Canada ont longtemps été à l’écart de la société canadienne. L’historien Brian Gettler met en lumière l’histoire et l’héritage culturel de ces communautés plurielles au Canada aujourd’hui.

Que reste-t-il de la culture des Premières Nations au Canada ?
Un couple avec enfant examine des peaux de renard dans un magasin en 1945. © Bibliothèque et Archives Canada/Fonds Arthur H. Tweedle/e002344213

Au terme de Premières Nations correspond un ensemble de près de 630 collectivités, 50 nations et autant de langues autochtones. Victimes de la colonisation des territoires canadiens par les Européens à partir du XVIe siècle, les Premières Nations ont dû se battre pour voir leurs droits reconnus par la nouvelle nation canadienne au courant du XXe siècle.

Brian Gettler, historien canadien spécialiste de l’histoire du colonialisme au Canada et au Québec, revient sur l’histoire de ces peuples autochtones et la reconnaissance de leur culture aujourd’hui.

 

Qui sont les peuples appelés Premières Nations ?

Il y a trois catégories de peuples autochtones au Canada : les Inuits (qui vivent dans le Grand Nord), les Métis (issus de l’union entre des femmes autochtones et des hommes engagés dans la traite de fourrures, essentiellement français et écossais) et les Premières Nations. Ce dernier groupe, qui est désigné juridiquement par le terme « Indiens », est composé de l’ensemble des populations et cultures originaires du continent nord-américain, au sud des terres inuits. Les Premières Nations sont découpées de diverses façons mais traditionnellement, les Européens ont forgé des groupes linguistiques au sein desquels se trouvent plusieurs nations aux langues distinctes, ce qui n’a pas toujours de sens.

« Contrairement au mythe tenace érigé par les populations européennes, l’ensemble du territoire était occupé proportionnellement à ses capacités »

Lorsque les colons européens sont arrivés, ces populations se trouvaient un peu partout sur le territoire canadien mais principalement dans l’actuelle province de Colombie-Britannique à l’ouest, autour des Grands Lacs et dans la vallée du Saint-Laurent au Québec. Contrairement au mythe tenace érigé par les populations européennes, l’ensemble du territoire était occupé proportionnellement à ses capacités.

Quelles ont été les relations entre les Premières Nations et les colons au Canada ?

Au tournant du XVIe siècle, les relations entre les deux sont avant tout commerciales. Les Européens, qui ne disposent pas toujours de sel pour la conservation, échangent du poisson ainsi que des produits manufacturés de façon ponctuelle contre des fourrures. Ce commerce va rester prépondérant au Canada jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, voire jusqu’au milieu du XXe dans certaines régions. Par la suite, de nombreuses alliances sont scellées avec les populations autochtones au gré de l’arrivée des Européens. Ceux-ci vont alors hériter des tensions préexistantes entre certaines communautés et imposer d’autres formes de conflits en s’installant sur ces terres.

Nicholas Vincent Tsawanhonhi, principal chef chrétien et capitaine des Hurons établis à la Jeune-Lorette, près de Québec, 1825. © Bibliothèque et Archives Canada

Comment les populations autochtones sont-elles « assimilées » dans le Canada impérial ?

Sous le régime français, des missions catholiques sont développées en coopération avec certains groupes autochtones qui s’étaient rapprochés des centres de population européens afin de commercer.

En dehors de ces communautés religieuses, l’assimilation des peuples autochtones passe par la traite des fourrures et le jeu des alliances militaires. Dans la région des Grands Lacs où les settlers européens sont peu nombreux, les alliances entre Anglais, Français et Premières Nations vont se faire et se défaire au gré des occupations territoriales et des rapports de force.

Mais dans l’ensemble, les affrontements militaires sont peu nombreux au début de la période coloniale. Chaque groupe autochtone adopte une approche différente, certains acceptent la foi chrétienne, d’autres souhaitent commercer avant tout, et quelques-uns résistent. Le seul véritable point commun tient à la vision des autochtones de l’échange commercial, qui ne peut être conçu sans de rapports amicaux préalables.

Comment se structurent ces Premières Nations ?

Chaque communauté autochtone s’organise différemment, avec des gestions spécifiques des relations extérieures et des affaires internes. Le groupe le plus connu est celui des Cinq Nations (leur vrai nom étant Haudenosaunee) qui regroupe les communautés iroquoises de l’est du Canada et de l’État de New York. Au courant du XVIIIe siècle, certains autochtones catholiques, dont des Iroquois, vont se réunir dans une alliance politique – la Fédération des Sept Feux – pour formaliser leurs relations avec l’Empire britannique. C’est seulement au XIXe siècle que ces multiples communautés autochtones, aux langues souvent distinctes et à la taille variable, vont se constituer en « nations » modernes et sédentarisées.

Sont-elles intégrées dans la société canadienne contemporaine ?

Du milieu du XVIIIe jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la « question indienne » a rarement été évoquée. Sans le droit de vote, légalement considérés comme des mineurs sous tutelle de l’État, les autochtones n’avaient tout simplement pas leur mot à dire dans la société canadienne. Mais l’engagement de nombreux autochtones dans le conflit mondial va inverser la vapeur et redonner de la visibilité à ces populations. Il faut cependant attendre 1961 pour qu’ils obtiennent le droit de vote.

« Le sujet des pensionnats est devenu prépondérant au Canada mais a paradoxalement invisibilisé les autres problématiques autochtones »

Aujourd’hui, cette question prend de plus en plus de place, notamment suite à la mise en place de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada (CVR) de 2008 à 2015 au sujet des pensionnats pour les enfants autochtones. Instaurées au début des années 1820, ces écoles devaient initialement permettre aux Premières Nations d’accéder au système scolaire européen. Mais face aux coûts importants engendrés, l’État canadien a délégué la gestion de ces institutions à la fin du XIXe siècle aux missions catholiques qui transforment ces pensionnats en outil colonial d’écrasement des cultures autochtones. Courants jusque dans les années 1950, les derniers ne ferment que dans les années 1990 à la suite des révélations du chef régional du Manitoba Phil Fontaine, ancien pensionnaire victime de sévices corporels et sexuels. La découverte de sépultures non marquées sur des sites d’anciens pensionnats l’année dernière ainsi que la visite récente (du 24 au 29 juillet 2022) du pape François, qui a présenté des excuses officielles de l’Église, ont ravivé ces questions-là. Ce sujet est devenu prépondérant au Canada mais a paradoxalement invisibilisé les autres problématiques autochtones en réduisant la « question indienne » à celle des pensionnats.

La Loi sur les Indiens, qui gère l’organisation des Premières Nations au Canada, est assez critiquée par les populations autochtones qui se voient imposer un système de gouvernance occidental qui ne correspond pas à leurs structures de pouvoir multiscalaires. Représentés officiellement par l’Assemblée des Premières Nations, institution constituée de représentants élus par les chefs de bandes locales, certains autochtones dont les Haudenosaunee refusent cette démocratie indirecte. 

Quelle place est accordée à la culture des Premières Nations au Canada aujourd’hui ?

De nombreux créateurs autochtones, plutôt anglophones et francophones, gagnent en visibilité aujourd’hui au Canada. Mais beaucoup de gens profitent de cette évolution en prétendant appartenir aux Premières Nations pour toucher des subventions spécifiques.

Les langues de ces peuples sont-elles encore parlées aujourd’hui ?

Encore une fois, l’état des lieux est assez éclaté. De nombreuses langues – comme les langues cries dans le nord du Québec ou les langues na-denés dans le Nord-Ouest canadien – se portent très bien. Mais certaines langues plus au Sud, notamment lorsque les communautés sont installées trop proches des zones urbaines, sont plus menacées. Malgré cela, ces langues sont toujours enseignées, parfois dans des petites écoles locales.

Y a-t-il des célébrations de la culture des Premières Nations dans l’espace public au Canada aujourd’hui ?

Les autorités canadiennes entreprennent régulièrement une démarche de reconnaissance territoriale avant un grand évènement sportif en remerciant les populations autochtones de les accueillir sur leur territoire. Le club de hockey des Canadiens de Montréal a récemment décidé de faire cela avant chaque match et de déclarer que la ville se trouvait en territoire mohawk, ce qui a provoqué un tollé, la question étant chaudement débattue par les historiens.

Existe-t-il des revendications politiques autonomistes de groupes appartenant aux Premières Nations ?

Plusieurs communautés, dont les Haudenosaunee, revendiquent une souveraineté totale sur leurs territoires, arguant du fait qu’ils n’ont jamais été conquis par les armées européennes et qu’ils étaient des alliés officiels de la Couronne britannique. Certains Haudenosaunee ont même leur propre passeport et refusent la légitimité du gouvernement canadien. Mais le statut revendiqué par la plupart des Premières Nations est plutôt d’ordre provincial, c’est-à-dire pour plus d’autonomie et de pouvoir décisionnel sur certains domaines.

Il existe aussi le mouvement Land Back, aux États-Unis comme au Canada, qui revendique la restitution de certains territoires en dénonçant le fait que les Premières Nations ne détiennent que 0,1 % des terres canadiennes pour environ 5 % de la population totale.

Conversation avec FLORIAN MATTERN

 

Bio express

Brian Gettler est professeur d’histoire à l’université de Toronto, spécialiste de l’histoire coloniale du Canada et du Québec.

17 août 2022
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