Quotidienne

Que reste-t-il de la culture zouloue en Afrique du Sud ?

Florian Mattern, journaliste

Gilles Teulié, historien

[Peuples autochtones 3/6] Parmi les différentes populations qui composent l’Afrique du Sud, les Zoulous ont une histoire mouvementée à la symbolique très riche. Historien spécialiste de ce pays et de sa période coloniale, Gilles Teulié revient sur cet héritage complexe et la place de la culture zouloue aujourd’hui.

Que reste-t-il de la culture zouloue en Afrique du Sud ?
Zoulous lors d'une cérémonie de danse des roseaux en 2010 © Retlaw Snellac Photography

Population autochtone de l’est de l’Afrique du Sud, les Zoulous ont été unifiés par le roi Chaka au début du XIXe siècle avant de subir le joug colonial britannique. Premier groupe ethnique du pays, les Zoulous ont participé activement à la lutte contre l’apartheid tout en maintenant leur culture au sein de la « nation arc-en-ciel ».

Gilles Teulié, historien spécialiste de l’Afrique du Sud et de sa période coloniale, explique pour le 1 l’histoire et l’héritage culturel de ce peuple autochtone aujourd’hui.

 

Qui sont les Zoulous ?

Les Zoulous sont un peuple bantou – groupe ethnolinguistique important d’Afrique subsaharienne – qui vient de la région de l’actuel Cameroun et qui est descendu vers le sud du continent lors des importantes migrations bantoues, étalées sur plusieurs millénaires. Auparavant, le pays était habité par les Khoïsan, peuple qui réside désormais dans les territoires désertiques du pays ou en Namibie et au Botswana. Les Zoulous constituent le plus important de ces groupes bantous et sont unis par une culture et une langue commune ainsi qu’un roi, descendant indirect du célèbre Chaka Zoulou.

Pourquoi la figure de Chaka Zoulou est-elle si connue aujourd’hui ?

Chaka Zoulou (1787-1828) est connu comme le père fondateur de la nation zouloue après avoir unifié tous les peuples de cette ethnie sur le territoire du KwaZulu sous son règne au début du XIXe siècle. Homme fort, stratège militaire et politique, Chaka est une figure assez ambivalente en raison de ses méthodes extrêmement violentes et ses guerres de conquête sanglantes –, il est souvent comparé à Napoléon, Jules César ou Attila. La mise en place d’une société militarisée, proche du modèle de la Sparte antique, et l’intégration des peuples voisins par la force a fait d’un petit clan une machine de guerre impitoyable.

« La fierté guerrière du peuple zoulou et l’héritage du roi Chaka vont alimenter l’imaginaire collectif des populations coloniales »

Même s’il n’a jamais combattu les armées impériales européennes, Chaka est connu pour n’avoir jamais perdu de bataille et avoir fondé une nation capable de résister à l’invasion britannique quelques décennies plus tard en 1879. C’est grâce au génie militaire de Chaka que l’armée britannique est défaite à la bataille d’Isandhlwana au début de la guerre anglo-zouloue, qui aboutit néanmoins à l’absorption du royaume zoulou par l’Empire britannique. Le nationalisme zoulou contemporain s’inspire encore beaucoup des exploits de Chaka et de cette victoire.

Quelles ont été les relations entre les Zoulous et l’Empire britannique ?

Intégrés dans la colonie britannique du Natal à la fin de la guerre de 1879, les Zoulous refusent cependant de travailler dans les plantations des colons blancs. Ces relations tendues vont pousser les Britanniques à faire appel à une importante main-d’œuvre en provenance d’Inde. La fierté guerrière du peuple zoulou et l’héritage du roi Chaka vont alimenter l’imaginaire collectif des populations coloniales qui érigent rapidement le mythe du « péril noir » et font du Zoulou le prédateur par excellence. Cependant, hormis la révolte de Bambatha en 1906 qui fut réprimée dans le sang, l’Empire britannique ne fut jamais véritablement inquiété par un quelconque soulèvement zoulou.

Comment la ségrégation puis l’apartheid sont-ils appliqués aux populations zouloues ?

La ségrégation a toujours existé en Afrique du Sud britannique. L’apartheid, instauré en 1948, n’était que l’officialisation de ces pratiques par le gouvernement du Cap. À la fin de la seconde guerre des Boers en 1902, lors des négociations pour le traité de paix, la question de la citoyenneté des populations noires fut soulevée par les Britanniques. Mais les Boers (les colons blancs néerlandophones d’Afrique du Sud) refusèrent catégoriquement cette clause, demandant de fait un système de ségrégation. Après la création de l’Union d’Afrique du Sud (dominion britannique) en 1910, ce sont des Boers – désormais appelés Afrikaners – qui se retrouvent à la tête du gouvernement et qui perpétuent alors la ségrégation raciale déjà en place.

Comme toutes les populations noires d’Afrique du Sud, les Zoulous subissent les 148 lois ségrégatives de l’apartheid. Parmi les plus connues de ces lois se trouvent le Group Areas Act, qui interdisait aux Noirs d’habiter dans les villes et les confinait à des banlieues créées à cet effet, le Natives Land Act, qui limitait la propriété des populations noires à 7 % du territoire sud-africain, le Prohibition of Mixed Marriages Act, inspirée des lois nazies, ou encore l’Immorality Amendment Act qui condamnait sévèrement toute relation sexuelle entre Blancs et Noirs.

Comment les Zoulous sont-ils intégrés dans la société sud-africaine contemporaine ?

Entre 1990 et 1994, entre l’abolition de l’apartheid et les premières élections libres en Afrique du Sud, deux camps zoulous se sont affrontés violemment. D’un côté se trouvaient les partisans de l’ANC, le parti de Nelson Mandela, de l’autre les soutiens de l’Inkatha Freedom Party fondé par le prince zoulou Mangosuthu Buthelezi. Mais avec l’élection de Mandela en 1994 et la victoire écrasante de l’ANC, Buthelezi est devenu ministre des Affaires intérieures et les tensions se sont progressivement apaisées.

« Les Zoulous sont bien intégrés en Afrique du Sud aujourd’hui et ne souhaitent pas faire dissidence »

Un président zoulou, Jacob Zuma, figure de la résistance à l’apartheid, a même été élu en 2009. Les Zoulous sont bien intégrés en Afrique du Sud aujourd’hui et ne souhaitent pas faire dissidence. Il n’a jamais été question d’autonomie ou d’indépendance pour le KwaZulu-Natal, nom actuel du territoire zoulou en Afrique du Sud.

Quelle place est accordée à la culture zouloue aujourd’hui en Afrique du Sud ?

Les touristes occidentaux ne font pas toujours la différence entre les diverses cultures sud-africaines mais il y a tout un travail de commémoration zouloue qui est entrepris autour de la figure de Chaka ou de la bataille d’Isandhlwana. Un projet de statue géante de Chaka, à l’image de la statue de la Liberté, avec un restaurant à l’intérieur a même été élaboré mais n’a jamais vu le jour. En revanche, une petite statue du père de la nation zouloue a été construite en 2010 pour l’aéroport de Durban, renommé par ailleurs King Shaka International Airport. Mais lors de son inauguration, le roi zoulou Goodwill Zwelithini kaBhekuzulu a demandé à ce qu’elle soit retirée car elle représentait Chaka comme un berger, bien que le bétail soit un symbole de richesse chez les Zoulous, et non pas comme un guerrier.

Y a-t-il des célébrations de la culture zouloue dans l’espace public en Afrique du Sud aujourd’hui ?

Le mariage de Jacob Zuma avec sa quatrième femme, dans la tradition polygame zouloue, a été l’occasion d’une importante cérémonie traditionnelle. L’héritage culturel zoulou est très prégnant au KwaZulu-Natal mais aussi dans toute l’Afrique du Sud et d’importants efforts sont faits pour préserver ces traditions, notamment autour de la royauté zouloue.

 

Bio express

Spécialiste de l’histoire de l’Afrique du Sud, Gilles Teulié est historien à l’université Aix-Marseille et membre du comité éditorial de la revue du Lerma (Laboratoire d’études et de recherche sur le monde anglophone).

03 août 2022
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