Quotidienne

Que reste-t-il de la culture sámie en Suède ?

Florian Mattern, journaliste

Ann-Helén Laestadius, écrivaine

[Peuples autochtones 4/6] Au nord de la Scandinavie vivent toujours des populations connues sous le nom de Sámi. L’écrivaine et journaliste sámie Ann-Helén Laestadius nous dévoile la place de ce peuple autochtone dans la société contemporaine suédoise.

Que reste-t-il de la culture sámie en Suède ?
Éleveur sámi et l'un de ses rennes en 2015 © Larry Lamsa

Population autochtone du nord de la Scandinavie connue pour son élevage de rennes, les Sámis ont longtemps subi l’oppression des régimes européens avant d’obtenir des droits spécifiques. Évangélisés de force et durement stigmatisés, les Sámis sont malgré tout parvenus à préserver leur culture dans la Scandinavie contemporaine.

Ann-Helén Laestadius, écrivaine et journaliste samie de nationalité suédoise, dévoile pour le 1 l’héritage et la place de la culture sámie en Suède aujourd’hui.

 

Quel est le lien entre votre travail et le peuple sámi ?

Je suis moi-même sámie et j’ai écrit quatre livres pour enfants à propos de la culture sámie. Il était impossible pour moi d’écrire sur quoi que ce soit d’autre que ma culture, mon peuple, mon héritage et ma terre. Personne en Suède n’en parlait lorsque j’ai commencé à écrire mes livres en 2007. Il fallait alors que quelqu’un, un Sámi, raconte notre histoire qui a trop souvent été déformée et imprégnée de préjugés racistes. J’ai grandi à Kiruna, au nord de la Suède, où les Sámis étaient nombreux mais très mal vus par les Suédois. En devenant journaliste puis écrivaine, j’ai naturellement choisi d’écrire sur ces sujets, pas seulement pour mettre en avant la culture sámie mais aussi pour que les Sámis puissent enfin lire à propos d’eux.

Vous écrivez vos romans en suédois plutôt que dans une des langues sames : pourquoi ?

Tout simplement parce que je ne le parle pas suffisamment bien. Ma mère, qui venait d’une famille d’éleveurs de rennes, a été arrachée de sa famille à l’âge de sept ans. Comme beaucoup d’autres Sámis, elle a rejoint de force un des pensionnats spéciaux, créés par le gouvernement suédois qui estimait qu’ils devaient recevoir une éducation spéciale, à l’écart de la société. Le paradoxe de cette politique était que les enfants sámis étaient isolés des autres enfants mais ne pouvaient parler que le suédois à l’école. Les langues sames étaient strictement limitées à la sphère familiale. En plus de ce traitement différencié, les enfants sámis subissaient une violente stigmatisation de la part des enseignants et étaient régulièrement harcelés physiquement. Nombre de ces Sámis ont grandi dans la honte de leur héritage et ont refusé d’apprendre la langue et les traditions à leurs enfants. Ma mère en parlait à la maison mais elle n’a jamais souhaité m’apprendre la langue.

Ann-Helén Laestadius en tenue traditionnelle samie © Thron Ullberg

Quel est le statut des langues sames en Suède aujourd’hui ?

Le same du Nord est encore très utilisé mais celui du Sud a quasiment disparu. Il n’y avait déjà plus que 500 locuteurs il y a dix ans… Beaucoup de gens nés comme moi dans les années 1960 et 1970 ont perdu l’usage des langues sames. Heureusement, un centre pour les langues sames a été inauguré pour la préserver. Celles-ci ont officiellement été reconnues comme langues minoritaires mais cela a eu assez peu de conséquences.

Comment la culture sámie est-elle représentée en Suède ?

Aujourd’hui, tout le monde parle des Sámis en Suède. C’est devenu un thème majeur dans le pays, que ce soit dans la littérature, le cinéma ou la presse. C’est une bonne chose mais ce qui est énervant, c’est que beaucoup en parlent comme si c’était une découverte. Certains parlent même d’un « Sámi boom » alors que nous avons toujours été là ! J’espère simplement que ça n’est pas qu’une phase et que cela va continuer, que les œuvres d’art vont continuer d’être traduites dans les langues sames. Après la publication de mon roman Stöld, qui aborde la question des violences contre les rennes et leurs éleveurs, j’ai reçu de très nombreux messages de personnes mortifiées qui découvraient l’existence de ce problème pourtant très ancien.

Y a-t-il des célébrations de la culture sámie dans l’espace public en Suède aujourd’hui ?

La Journée nationale des Sámis, le 6 février, retient enfin l’attention des médias suédois. À cette occasion, le drapeau sámi est visible sur de nombreux bâtiments, des concerts sont organisés et beaucoup de Sámis s’habillent en tenue traditionnelle.

« Le “Sámi Grand Prix”, l’équivalent de l’Eurovision pour la musique sámie, a été retransmis en direct à la télévision norvégienne »

Il y a aussi le « Sámi Grand Prix », l’équivalent de l’Eurovision pour la musique sámie, qui se tient chaque année. Le concours est divisé en deux parties, la première consacrée à la musique contemporaine et la seconde au joik, le chant traditionnel a cappella sámi. Cette année, la compétition était retransmise en direct à la télévision norvégienne et en replay en Suède. C’est un vrai changement !

Est-ce difficile de préserver la culture sámie en Suède aujourd’hui ?

Après avoir vécu vingt-sept ans à Kiruna entourée de Sámis, j’ai déménagé à Stockholm où j’habite maintenant depuis vingt-trois ans. C’est assez difficile pour moi de ne plus entendre le same ou d’être proche de la nature, qui est très importante dans la culture sámie. J’ai dû me battre pour que mon fils puisse apprendre le same du Nord à l’école mais il n’y avait pas toujours des professeurs disponibles.

Quelles sont les différences entre les Sámis du Nord, les Sámis de Lule et les Sámis du Sud ?

Chaque communauté possède sa propre langue, ses propres vêtements traditionnels et ses techniques d’élevage de rennes. Par exemple, en tant que Sámi du Nord, je ne peux absolument pas comprendre le same du Sud. Les langues sont aussi éloignées que le sont le suédois et l’islandais ! De plus, le gákti (le costume traditionnel sámi) indique immédiatement à quelle communauté l’on appartient.

Les Sámi sont essentiellement connus comme des éleveurs de rennes : est-ce encore d’actualité ?

Les traditions d’élevage de rennes sont encore très importantes dans les communautés sámies aujourd’hui. C’est un moyen pour les enfants de découvrir leur culture, l’histoire de leurs terres et de parler same avec leurs aînés. Mais aujourd’hui, les éleveurs de rennes ne représentent plus que 10 % de la population sámie.

« Quand je sors dans les rues de Stockholm en tenue traditionnelle, il y a toujours quelqu’un qui s’arrête pour me demander si je suis perdue et si j’ai besoin d’aide »

Quelles sont les relations aujourd’hui entre les Suédois et les Sámis ?

Quand j’étais enfant, il y avait énormément de tensions et de conflits entre Suédois et Sámis, notamment liés au droit de chasse et de pêche. Les Suédois avaient tendance à oublier que les Sámis avaient été déplacés de force et que certaines zones leur étaient donc réservées. Beaucoup de Suédois considéraient aussi que nous étions hostiles alors même que nous étions là les premiers et avons souffert du joug suédois. Et aujourd’hui, quand je sors dans les rues de Stockholm en tenue traditionnelle, il y a toujours quelqu’un qui s’arrête pour me demander si je suis perdue et si j’ai besoin d’aide.

Des parlements sámis ont été établis en Suède, en Norvège ainsi qu’en Finlande : quelles sont leurs prérogatives ?

En Suède, le parlement sámi s’occupe principalement de questions culturelles, souvent liées à l’élevage des rennes, mais sa capacité décisionnelle est très limitée. Le système norvégien est quant à lui beaucoup plus avancé, une véritable dévolution a été mise en place. De plus, les Sámis de Norvège disposent d’un vrai bâtiment pour ce parlement alors qu’en Suède, celui-ci est mobile.

Existe-t-il des revendications politiques autonomistes sámies ?

Certains groupes politiques sámis demandent plus d’autonomie afin de gérer certaines situations, notamment lorsque des compagnies minières acquièrent des terres sámies et essaient d’expulser les populations locales. Certains Sámis sont plus radicaux et souhaitent la création d’un État sámi indépendant, le Sápmi, mais ces demandes sont plutôt le fait d’individus que de groupes politiques.

Les religions sámies sont-elles encore pratiquées ?

La plupart des Sámis ont été convertis de force au christianisme. Mais malgré cela, les Sámis entretiennent toujours une relation très particulière à la nature qui est héritée de ces rites religieux, sans pour autant se rendre sur les lieux sacrés où se tenaient les cérémonies sacrificielles.

 

Conversation avec FLORIAN MATTERN

 

Bio express

Ann-Helén Laestadius est une journaliste et écrivaine sámie de nationalité suédoise. Autrice de plusieurs livres pour enfants traduits en sámi, son premier roman Stöld paraît en France le 25 août aux éditions Robert Laffont.

10 août 2022
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