Macron – Le Pen : le mythe des deux France
L'idée de deux blocs s'opposant dimanche ne rend pas compte de la complexité de nos divisions politiques. Elle invisibilise aussi toutes celles et ceux qui rêvent d’un système démocratique moins caricatural dans les oppositions qu'il dessine.
À 48 heures du second tour, une image fréquemment convoquée – y compris sur la couverture du 1 cette semaine – est celle de deux France qui s’opposent : celle d’Emmanuel Macron contre celle de Marine Le Pen, la France d’en haut contre celle d’en bas, la France des grandes villes contre celle des champs, les mondialistes contre les enracinés…
Cette image se nourrit de la nature et de la mécanique même de l’élection présidentielle qui polarise et organise le choix entre deux grands camps que tout est censé opposer.
Et l’élection qui s’annonce fait à ce titre figure de cas d’école, puisque comme en 2017, Emmanuel Macron attire une population plus aisée, tendanciellement plus diplômée et plus âgée avec, pour le second tour, deux tiers des intentions de vote des retraités en sa faveur, si l’on en croit la vague 10 de l’enquête électorale du Cevipof à Sciences Po (avril 2022). Marine Le Pen, pour sa part, apparaît comme le refuge des catégories populaires, drainant près de 70 % du vote ouvrier et plus de la moitié des employés.
Sauf que cette distinction est plus complexe qu’il n’y paraît et qu’elle ne rend pas justice aux divisions politiques réelles de notre pays.
D’abord parce que les électorats des deux principaux candidats sont moins homogènes qu’à première vue : rappelons qu’un petit tiers des cadres a l’intention de voter Le Pen dimanche, et que 47 % des employés porteront leur choix sur Emmanuel Macron. Certaines régions donnent quant à elles un avantage certain à Marine Le Pen, comme en Provence-Alpes-Côte d’Azur, tandis que le président sortant triomphe dans la France du quart Nord-Ouest, notamment en Bretagne, et ce quels que soient les lieux d’habitation.
La somme des votes pour les deux finalistes ne représente que 51 % des suffrages exprimés, et seulement 36,7 % des inscrits
Ensuite et surtout parce que la somme des votes pour les deux finalistes ne représente que 51 % des suffrages exprimés, et seulement 36,7 % des inscrits. Ce qui signifie que deux tiers de nos concitoyens n’ont pas voté au premier tour pour l’un ou l’autre des deux finalistes.
Dès lors, pour complexifier notre analyse de l’état politique du pays, il faudrait ajouter au moins deux France à celles déjà évoquées, qui vont jouer un rôle déterminant durant le second tour et dans les temps à venir, quel que soit le résultat de dimanche.
La première est celle des électeurs de gauche, dont les votes se sont portés sur les six candidats qui représentaient cette famille politique au premier tour, et qui a réuni 32 % des exprimés et 23 % des inscrits. Alors que les commentateurs l’enterrent volontiers, rappelons que l’addition des scores de la gauche (même sans compter les scores de Philippe Poutou et Nathalie Arthaud) la place en pole position des votes du 10 avril, ce qui laisse imaginer ce qu’aurait pu être cette élection si ses troupes s’étaient réunies derrière un seul candidat. Si l’on en s’en tient au seul vote Mélenchon, notons par exemple que dans les 42 villes de plus de 100 000 habitants le leader insoumis remporte le premier tour dans près de 23 d’entre elles, contre 17 pour Emmanuel Macron et seulement deux pour Marine Le Pen.
Cette France-là ne croit plus à ce jeu, qui ne génère chez elle que frustration, fatalisme ou colère
Mais c’est surtout la France des 26 % d’abstentionnistes et 1 % de votes blancs qui sera dimanche le véritable arbitre du match entre les deux finalistes.
Elle regroupe à la fois des Français qui ne votent pas et n’ont jamais voté, trop exclus socialement pour se sentir concernés par la politique. Mais aussi, et de plus en plus, des citoyens conscients et informés, qui refusent le choix qu’on leur propose entre deux candidats dans lesquels ils ne se retrouvent pas, ce qu’on appelle en science politique des « abstentionnistes dans le jeu ».
À ceux-là, il faudrait également ajouter les Français qui voteront sans y croire, pour faire barrage à l’un ou à l’autre des candidats, ou encore parce que voter est un devoir, à défaut de générer un espoir.
Cette France-là rêve d’un système politique différent, plus démocratique et moins caricatural dans les oppositions qu’il dessine. Elle ne croit plus au jeu, qui ne génère chez elle que frustration, fatalisme ou colère.
Son appel sera-t-il entendu par le ou la vainqueur de dimanche soir ? Rien n’est moins sûr.
D’abord parce que les deux candidats ont une vision instrumentale des institutions qui servent essentiellement à conforter leur pouvoir. L’arme du référendum brandie par Marine Le Pen n’est que le moyen pour elle d’enjamber le Parlement et les corps intermédiaires sur le chemin d’un pouvoir plébiscitaire, voire autoritaire.
Et Emmanuel Macron, dont la pratique solitaire et verticale du pouvoir a pourtant été durement critiquée, ne semble pas avoir pris la mesure de la volonté de changement, malgré de timides ouvertures dans sa campagne d’entre-deux-tours, essentiellement destinées à attirer les électeurs de gauche modérée.
Notre pays a besoin d’une véritable refonte institutionnelle
Mais on ne soignera pas la fatigue démocratique par quelques conventions citoyennes ou un passage au scrutin proportionnel d’ici cinq ans.
Notre pays a besoin d’une véritable refonte institutionnelle, aussi bien dans le pouvoir donné au président et au Parlement que dans l’équilibre entre les pouvoirs de l’État central et celui des territoires, ou le mix entre démocratie directe et démocratie représentative.
En l’absence d’un tel changement, la France des mécontents pourrait bien faire payer très bientôt dans la rue à l’élu(e) de dimanche soir l’enfermement de nos concitoyens dans deux France auquel personne ne croit plus.
Chaque vendredi à 18 h 40, retrouvez Vincent Martigny dans l'émission « Une semaine en France » présentée par Claire Servajean de 18 à 19 heures sur France Inter. En partenariat avec le 1.