Un vaste écran de fumée
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Toute ma vie, je me suis senti relié à l’histoire. Enfant, j’ai été confronté à la « gueule cassée » de mon grand-père et de ses camarades défigurés pendant la Première Guerre mondiale, cela a inspiré mon premier roman, La Chambre des officiers. J’ai été en grande partie élevé par une grand-mère juive convertie au christianisme, rescapée d’une époque terrifiante. Ma famille a joué un rôle dans la Résistance, et notamment mon père, ingénieur refusé à Polytechnique à cause de son handicap dû à une poliomyélite, ce qui ne l’empêcha pas de devenir un physicien nucléaire – je lui ai consacré mon dernier roman. J’ai reçu le goût de l’histoire en héritage. Un père catholique, une mère protestante… Depuis mon plus jeune âge, le 24 août 1572, déclenchement du massacre de la Saint-Barthélemy, est une date gravée dans mon esprit. Quant à mes lointaines origines irlandaises, elles m’ont sans doute conduit à m’intéresser à la première colonisation anglaise en Irlande du Nord ainsi qu’au destin des frères Kennedy. Tout ceci est constitutif de ce que je suis, l’histoire est un élément essentiel de notre destin collectif.
J’estime néanmoins qu’aujourd’hui, toute cette énergie consacrée à regarder en arrière n’est là que pour masquer notre incapacité à considérer l’avenir. Je suis sidéré du peu de place laissée au travail d’anticipation. Je ne pense pas à l’anticipation romanesque, mais au décryptage d’une société qui se transforme à une vitesse proprement sidérante sous l’effet des révolutions numériques et bioéthiques, de l’intelligence artificielle, du clonage et de la catastrophe climatique qui s’annonce. Nous vivons une période d’accélération vertigineuse de l’histoire, inédite à l’échelle de l’humanité, et nous devrions nous tourner vers le passé ? Les enjeux planétaires sont considérables, ils n’occupent pourtant qu’une place réduite dans nos débats.
Nous sommes à un carrefour de civilisation : une transformation possible de l’essence humaine avec l’intelligence artificielle et la possibilité de la disparition de notre environnement à cause du réchauffement climatique. Certains se rassurent en pensant que le développement technologique sans équivalent va nous sauver de tout. Mais ces progrès sont accomplis par des grands groupes qui n’ont pas de considération pour les États, pas plus que pour les défis de nos sociétés ou la crise de nos démocraties. Les géants de l’Internet nous font entrer dans une période de servilité, probablement une forme de totalitarisme digital dont on ne mesure pas encore toutes les conséquences mais dont le confinement nous a permis d’entrevoir certains traits.
Quand on parle de totalitarisme, on pense aussitôt au fascisme, au communisme, éventuellement à l’islamisme. Nous avons bien du mal à concevoir cette perte progressive de nos libertés. La force du digital, c’est qu’on ne s’aperçoit de rien quand des photos sont prises de nous dans l’espace public, quand notre rétine sert à notre reconnaissance. Nous allons tout droit vers des comptes personnels comme en Chine, de nombreuses applications s’appuient déjà sur des systèmes de notation. Pour l’instant, cela paraît indolore mais le réveil sera douloureux quand l’État viendra nous rappeler à l’ordre à chaque fois que nous sortirons du cadre.
Le digital pose un problème existentiel à nos démocraties. La Chine, qui a réalisé que le numérique était en train de fabriquer des générations de crétins, a décidé que les enfants ne passeraient pas plus de trois heures par semaine sur des jeux vidéo en ligne. Pendant ce temps, nos démocraties libérales se contentent de passer les plats des grandes entreprises du numérique. Les réseaux sociaux et quelques chaînes d’information en continu sont devenus les ferments du populisme.
Comment espérer maintenir la légitimité d’une élection présidentielle tous les cinq ans quand on vous demande en permanence de voter sur votre téléphone sur telle ou telle question ? Je trouve lamentable que pratiquement tous les politiques tweetent. Ces réactions à tout moment, dans l’instant, développent la haine et détournent de la réflexion. Quand l’évolution technologique est cent mille fois plus rapide que l’évolution intellectuelle, culturelle et morale, il y a forcément un décalage. L’exercice plein et entier d’une démocratie est conditionné par la capacité des citoyens à être suffisamment éduqués, entraînés à la réflexion plutôt qu’à la vocifération.
Une alliance objective s’est formée entre les nouvelles technologies qui dessinent notre avenir et des populistes comme Éric Zemmour qui nous bassinent avec un passé révolu. Zemmour comme Donald Trump prospèrent sur l’angoisse d’une partie de la population qui voit disparaître un passé qu’elle maîtrisait à peu près. Ils forment une dérivation, laissant croire à une reprise du pouvoir alors qu’ils sont prêts à l’abandonner tout aussi violemment aux intérêts privés que les ultralibéraux. Pour réaliser leur tour de passe-passe, ils détournent la colère de leurs électeurs vers des boucs émissaires tout en les berçant dans le fantasme d’un passé mythifié qui n’a pas vraiment existé et qui n’est d’aucune aide pour nos problèmes actuels. Qui peut croire que l’exemple de Louis XIV, Napoléon ou même De Gaulle, puisse être d’une quelconque utilité pour une société numérique au bord de l’effondrement climatique ? Ces mémoires exhumées ne servent qu’à susciter un vaste écran de fumée qui nous empêche de distinguer les problèmes avec clarté.
Conversation avec P.Tr.
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Chaque année, des pétitions circulent sur Internet pour dénoncer la difficulté d’une épreuve du baccalauréat, réclamer son annulation ou un assouplissement des critères de notation.
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