Dans votre dernier ouvrage, Le Grand Récit, vous faites le diagnostic d’une « faillite » des grands récits qui ont structuré l’Occident…

Ce livre est une proposition de lecture de l’histoire contemporaine qui interroge notre éternelle « quête de sens », notre besoin de (nous) raconter des histoires, mais qui réfléchit également à une certaine manière de faire l’histoire comme de faire de l’histoire.

Mon point de départ dans cette analyse des « récits du temps », pour reprendre l’expression de François Hartog, c’est le grand récit qui préexiste à tous les autres : le providentialisme chrétien. Depuis le Ve siècle et saint Augustin, on tente de donner sens au temps de la vie terrestre, un temps médiocre, décevant, un temps où le mal et la catastrophe dominent, en recourant au « providentialisme » : nous ne pouvons pas comprendre car nous sommes mortels, finis, Dieu, lui sait le sens et la justification de toute chose car il est infini. Cela fonctionne assez bien jusqu’au XIXe siècle, où ce Grand Récit unique commence à s’épuiser sous les coups de boutoir de la Révolution française, de la diffusion de l’alphabétisation et du raisonnement scientifique. La désagrégation finale de ce sens venu d’en haut, littéralement transcendant, se produit au sortir de la Première Guerre mondiale, précipitée par l’horreur des tranchées.

Pour combler ce trou béant, de nouveaux récits vont émerger. Ce sont les grandes idéologies du XXe siècle, ce que Raymond Aron appelle les « religions séculières » : le fascisme, le nazisme et le communisme stalinien, mais aussi le libéralisme. Il s’agit de propositions politiques sur l’organisation des pouvoirs et la répartition des richesses, certes, mais, au-delà de cela, ce sont aussi des discours existentiels, qui disent des choses sur notre origine, notre destination, notre rapport à la mort. Rapidement, ces nouveaux récits se heurtent cependant également à l’épreuve du réel, qui leur est fatale. Jean-François Lyotard, qui diagnostique « la fin des grands récits », observe cependant que le besoin de (se) ra

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