Quoiqu’il n’eût pas vraiment le tempérament d’un dangereux factieux sanguinaire, Delacroix signa avec La Liberté guidant le peuple l’une des œuvres iconiques de ce qu’est une révolution. Inspirée par le renversement du règne de Charles X en 1830, cette composition pyramidale est dominée par une figure allégorique féminine à moitié dénudée, bonnet phrygien sur la tête, drapeau tricolore à la main. Elle exalte le soulèvement d’une société en colère, depuis les gamins des rues jusqu’aux citadins coiffés d’un haut-de-forme.

On l’ignore souvent, mais cette œuvre, déjà cible de virulentes critiques lors de son exposition au Salon de 1831, a été l’objet d’une censure terriblement insidieuse. Acquise par l’État – converti à la monarchie de Juillet –, elle aurait dû être exhibée par celui-ci et incarner aux yeux des citoyens un moment crucial de l’histoire contemporaine dans la salle du trône des Tuileries. Problème : le pouvoir emmené par Louis-Philippe redoutait qu’une telle image encourageât la fibre critique, l’esprit de résistance et le désir de changement des Français. Très vite, elle fut donc plus ou moins remisée, écartée des regards et, en 1839, elle fit partie des toiles dont on ordonna qu’elles fussent ôtées de leur châssis, enroulées sur cylindre et expédiées en magasin. Le tableau, de manière à peine déguisée, était condamné au cachot : Liberté perdue…

Corollairement, visant l’unité du pays autour de sa propre figure, Louis-Philippe exigea un vaste programme iconographique à Versailles (alors réhabilité sous forme de musée). Ce programme célébrait la France et ses victoires à travers les siècles, et inscrivait bien sûr la monarchie de Juillet en glorieux aboutissement de cette chaîne d’événements. Non seulement La Liberté guidant le peuple n’y avait pas sa place, mais on eût pu parfaitement entendre ses détracteurs de l’époque expliquer sa mise au ban parce qu’elle « bless[ait] le sentiment national ». Voilà qui se serait avéré l’argument le plus efficace au service de sa censure.

Le sort de Boualem Sansal me révulse et me désole. Je ne le connais pas. J’aimerais pouvoir le saluer un jour. J’espère de tout mon cœur que l’occasion se profilera. Simplement pour trinquer et échanger quelques mots. Vous savez quoi ? On pourrait même imaginer que tout le monde serait alors invité à ce rendez-vous, à l’initiative du 1, du ministère de la Culture ou de la mienne – peu importe. Tout le monde serait invité, même ceux qui ne l’aiment pas, même ceux qui le détestent. Tout le monde… Avec un point de rencontre évident : dans la Grande Galerie du Louvre, au pied du tableau d’Eugène Delacroix : Liberté retrouvée…

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