Ovide

En l’an 8, Ovide est chassé de Rome par un édit d’Auguste qui lui reproche l’immoralité de ses vers. Il est assigné à résidence à Tomis dans l’actuelle Roumanie. Dans ses recueils les Tristes et les Pontiques, il se lamente et implore le pardon.

écrire à quoi bon
des livres pour quoi faire
mon crime
avoir du talent
les Muses ont causé ma perte
on les punit à travers moi
mais ce n’est pas assez d’avoir été banni
je veux encore être lu
alors qu’être lu est ce qui m’a perdu
si César n’avait pas ouvert mon Art d’aimer
je coulerais des jours paisibles à Rome

qu’on me guérisse de la manie des vers
et c’est mon innocence qui me sera rendue
ce que j’ai gagné à être un bon poète
ce que j’ai gagné à travailler mes livres
pourrir ici
haïr la poésie
ce serait raisonnable
moi
je suis fou
j’y retourne
comme un gladiateur redescend dans l’arène
comme une épave reprend la mer
comme un fou se jette dans le vide

Extrait des Tristes, Livre II (vers 9 et 12 apr. J.-C.), traduction par Marie Darrieussecq, dans Ovide, Tristes Pontiques © éditions P.O.L, 2008

 

Diderot

Après avoir déclaré son athéisme dans La Lettre sur les aveugles (1749), Denis Diderot est emprisonné pendant plusieurs mois. À la suite de cette épreuve, il aura davantage recours dans ses textes à des clins d’œil et des sous-entendus lui permettant de se faire comprendre des lecteurs qui le connaissent tout en échappant à la censure.

La condition de sage est bien dangereuse : il n’y a presque pas une nation qui ne se soit souillée du sang de quelques-uns de ceux qui l’ont professée. Que faire donc ? Faut-il être insensé avec les insensés ? Non ; mais il faut être sage en secret, c’est le plus sûr. Cependant si quelque homme a montré plus de courage que nous ne nous en sentons, et s’il a osé pratiquer ouvertement la sagesse, décrier les préjugés, prêcher la vérité au péril de sa vie, le blâmerons-nous ? Non ; nous conformerons dès cet instant notre jugement à celui de la postérité, qui rejette toujours sur les peuples l’ignominie dont ils ont prétendu couvrir leurs philosophes. Vous lisez avec indignation la manière avec laquelle les Athéniens en ont usé avec Socrate, les Crotoniates avec Pythagore ; et vous ne pensez pas que vous exciterez un jour la même indignation, si vous exercez contre leurs successeurs la même barbarie.

Article le « Système de Pythagore », dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers, 1765

 

Heinrich Heine

Épris de liberté et admirateur de la Révolution française, le poète allemand a fui ses détracteurs et la censure pour s’installer à Paris en 1831. Dans la préface de l’un de ses poèmes célèbres, il revient sur les attaques dont il fait l’objet.

Je les entends déjà crier de leur grosse voix : Tu blasphèmes les couleurs de notre drapeau national, contempteur de la patrie, ami des Français à qui tu veux livrer le Rhin libre. Calmez-vous ; j’estimerai, j’honorerai votre drapeau, lorsqu’il le méritera, et qu’il ne sera plus le jouet des fous ou des fourbes. Plantez vos couleurs au sommet de la pensée allemande, faites-en l’étendard de la libre humanité, et je verserai pour elles la dernière goutte de mon sang. Soyez tranquilles, j’aime la patrie, tout autant que vous. C’est à cause de cet amour que j’ai vécu tant de longues années dans l’exil ; c’est à cause de cet amour que j’y passerai peut-être le reste de mes jours, sans pleurnicher, sans faire les grimaces d’un martyr.

Préface de Germania, conte d’hiver, 1844

 

Pablo Neruda

Élu avec le soutien des communistes en 1946, le président chilien Gabriel González Videla ne tarde pas à se retourner contre eux, opérant un net virage à droite. L’écrivain Neruda, sénateur communiste depuis 1945, fustigera avec véhémence cette trahison. Pour échapper à une arrestation, il devra entrer dans la clandestinité, avant de fuir en Europe.

L’exil est rond
Un cercle, un anneau :
tes pieds en font le tour,
tu traverses la terre,
et ce n’est que la terre,
le jour s’éveille
et ce n’est pas le tien,
la nuit arrive :
il manque tes étoiles,
tu te trouves des frères :
et ce n’est pas ton sang.
Tu es comme un fantôme qui rougit
de ne pas aimer plus ceux qui t’aiment si fort,
et n’est-il pas vraiment étrange que te manquent
les épines ennemies de ta patrie,
l’âpre détresse de ton peuple,
les ennuis qui t’attendent,
et qui te montreront les dents dès le seuil de la porte…

« Exil », dans Mémorial de l’Île noire, trad. Claude Couffon © éditions Gallimard, 1970

 

Milan Kundera

En 1967, Milan Kundera est déjà connu et vient de publier La Plaisanterie. Le Congrès des écrivains tchécoslovaques va voir se lever une fronde contre le pouvoir soviétique. À la tribune, le romancier et poète s’en prend à la censure, un an avant l’écrasement du Printemps de Prague. Interdit de publication dans son pays peu après cet événement, il s’exilera en France en 1975.

Dans une lettre à Helvétius, Voltaire a écrit cette phrase magnifique : Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. Il s’agit là de la formulation du principe éthique de base de notre culture moderne. Qui régresse dans l’histoire avant la naissance de ce principe-là, quitte les Lumières pour retourner au Moyen Âge. Toute répression d’une opinion, y compris la répression brutale d’opinions fausses, va au fond contre la vérité, cette vérité qu’on ne trouve qu’en confrontant des opinions libres et égales. Toute interférence dans les libertés de pensée et d’expression – quelles que soient la méthode et l’appellation de cette censure – est au xxe siècle un scandale, ainsi qu’un lourd fardeau pour notre littérature en pleine effervescence.

« La littérature et les petites nations : discours au Congrès des écrivains tchécoslovaques (1967) », dans un Occident kidnappé, traduit du tchèque par Martin Daneš © éditions Gallimard, 2021

Vous avez aimé ? Partagez-le !