La crise sanitaire actuelle met-elle en évidence des problématiques propres aux grandes villes ?

Objectivement, oui. L’expérience du confinement a fait prendre conscience de la difficulté de la vie dans certaines grandes zones urbaines, en particulier à Paris où l’habitat est dense et restreint à de petites surfaces. Ces derniers mois ont aussi montré que cette densité de population générait des problèmes sanitaires. Le Covid, notamment, est une maladie des grands centres urbains, qui s’est propagée depuis les zones aéroportuaires, puis à travers les transports en commun au moment où le masque n’y était pas encore obligatoire.

L’apparition de différents dispositifs sanitaires dans l’espace urbain est-elle une bonne nouvelle pour vous ?

Ce sont des dispositifs qui seront appliqués tant que nous devrons affronter ce virus. Il faut espérer que, lorsque nous nous en serons débarrassés – et nous finirons par le faire, toutes les épidémies finissent par s’éteindre –, nous n’en ayons plus besoin. Mais il pourrait rester aussi de nouvelles pratiques, héritées de la période que nous sommes en train de traverser. Dans les grands centres urbains asiatiques, par exemple, il n’est pas rare de voir les gens porter des masques en hiver pour se protéger d’éventuelles contaminations virales. Est-ce que nous ferons de même ? Est-ce que nous continuerons à porter des masques même après la disparition du Covid ? C’est une éventualité, même si l’Européen, et le Français en particulier, est plus rebelle à l’égard de ce qu’il peut considérer comme une privation de liberté. La période du déconfinement a plutôt montré que les gens se comportaient volontiers comme si rien ne s’était passé. Alors si l’épidémie finit par s’éteindre dans quelques mois, sans que nous soyons touchés par un autre virus, il est aussi possible que nous reprenions nos habitudes d’avant.

Mais il n’y a pas que la question des masques : les villes se sont équipées de dispositifs hygiéniques, avec des distributeurs de gel hydroalcoolique, notamment dans les transports en commun, ou des sens de circulation pour éviter les brassages. Sont-ils destinés à perdurer dans les villes de demain ?

À partir du moment où nous n’aurons plus à faire face à la propagation massive et rapide d’un virus comme le Covid, ces distributeurs de gel n’ont plus de nécessité première. Nous vivons en permanence dans un environnement peuplé de bactéries et de virus, nos organismes savent habituellement y faire face. Cela étant dit, il sera intéressant de voir quel effet ces dispositifs vont avoir, au cours de l’hiver, sur un virus comme la grippe. La grippe est un virus qui revient tous les ans, et qui fait habituellement entre 5 000 et 15 000 morts. Or, dans l’hémisphère sud, l’épidémie de grippe a été beaucoup moins sévère que d’habitude durant l’hiver austral. Peut-être pourrons-nous, à notre tour, juger de l’efficacité de la distanciation et d’une hygiène plus poussée sur ce genre de virus ! Est-ce que cela suffira pour nous convaincre de porter des masques tous les ans entre novembre et mars ? Ça reste à voir…

Quels sont les risques sanitaires propres à la vie urbaine ?

D’abord, une remarque : l’état de santé de la population et son espérance de vie sont globalement meilleurs dans Paris intra-muros que dans la plupart des régions de France. Mais on sait aussi que cela est corrélé avec le niveau socio-économique. Si on s’affranchit des questions pandémiques, alors le principal mal urbain aujourd’hui reste la pollution atmosphérique, qui est un facteur déclenchant ou aggravant de nombreuses maladies. Avec, là encore, une nuance à apporter : il est bien pire de fumer quatre ou cinq cigarettes par jour que de vivre à côté du périphérique. Mais il est certain que le long des principales artères, on peut désormais mesurer avec précision les effets de cette pollution sur les infections respiratoires, les crises d’asthme et même les infarctus. Dès qu’on s’éloigne de 500 mètres de ces grands axes, cet impact diminue de façon très importante.

La sédentarité urbaine est-elle un enjeu sanitaire ?

Ça l’était, mais c’est de moins en moins vrai. L’activité sportive est aujourd’hui importante, voire très importante, au sein des classes aisées. La pratique du vélo, également, qui remplace de plus en plus les déplacements en voiture, participe à ce nouvel élan de l’activité physique. Si ce mouvement se poursuit à l’avenir, nous ne pouvons en attendre que des bénéfices ! La pratique du vélo est une activité physique régulière, journalière, qui ne brusque pas violemment le corps, mais mobilise le système cardio-vasculaire de façon quasi idéale. Le seul bémol, c’est l’augmentation de l’accidentologie, en hausse de 30 % sur un an à Paris par exemple. Mais cela pourra être corrigé à l’avenir si les pistes cyclables sont mieux organisées et si les cyclistes apprennent à faire davantage attention.

Quels seront les défis liés au vieillissement de la population ?

Ce seront ceux de la prise en charge de la perte d’autonomie et de la dépendance. Mais la difficulté résidera sans doute dans les différences majeures entre zones d’habitation, avec des niveaux socio-économiques disparates. On peut avoir des différences d’espérance de vie de quinze ans entre le xvie arrondissement de Paris et certaines communes de Seine-Saint-Denis. Ce sera une dimension à prendre en compte en vue de l’organisation des soins. Dans le cas du Covid par exemple, la Seine-Saint-Denis, habituellement touchée par des maladies liées à la précarité, s’est trouvée débordée par le nombre de cas, avec une offre de soins totalement inadaptée. Nous avons dû, à la Pitié-Salpêtrière, prendre soin de nombreux malades de ce département. Cela signifie aussi que l’offre de soins de certains quartiers, comme ceux de la Seine-Saint-Denis, est sous-dimensionnée par rapport aux besoins à venir.

Les grands centres urbains ne sont pourtant pas en manque de médecins…

Non, les grandes métropoles ont une densité de cliniques, d’hôpitaux, de spécialistes libéraux ou de médecins généralistes bien plus forte que celle des zones rurales. Et la conséquence directe de cette densité, c’est que vous avez beaucoup plus de chances de survivre à un arrêt cardiaque dans Paris intra-muros, par exemple, où les pompiers sont sur site sept minutes après l’appel, qu’en zone rurale. Il y a un avantage énorme à vivre en ville de ce point de vue. L’enjeu pour l’avenir ne sera donc pas la quantité de l’offre de soins, mais sa meilleure répartition entre les différents quartiers d’une ville.

Comment évoluera l’hôpital dans la ville de demain ?

Nous évoluerons vers deux types d’hôpitaux. La plupart des malades seront conduits vers des hôpitaux de jour, dans lesquels même pour des opérations importantes le séjour sera très bref, parfois moins de 24 heures. Les malades plus graves seront hospitalisés dans des unités de réanimation ou des structures intermédiaires, avec des lits plus nombreux qu’aujourd’hui dans ces structures. Dans les hôpitaux de jour, les lits seront sans doute, eux, moins nombreux, avec une poursuite des soins menée plus volontiers à domicile. Tout cela sera permis par le développement de chirurgies moins invasives, de la télémédecine, de la télésurveillance ou encore de la 5G.

En quoi la 5G sera-t-elle un des enjeux de la médecine de demain ?

Elle permettra de réaliser des actes impossibles aujourd’hui, comme le télémonitoring multimodal couplé à des outils utilisant l’intelligence artificielle et capables de détecter, voire d’anticiper le moindre souci. Elle pourra aussi faciliter la transmission de données à très haut débit d’un site à un autre pour permettre, par exemple, d’avoir des pôles de radiologie hyperspécialisés, grâce à des humains ou des algorithmes d’imagerie médicale. Dans mon domaine, la réanimation, il existe déjà aux États-Unis des entreprises privées capables de prendre en charge à distance jusqu’à deux cents lits de réanimation en même temps, avec des experts ayant accès au dossier du patient et à ses constantes vitales et un infirmier spécialisé sur place. Ce sont des évolutions majeures, qui rendent le débat actuel autour de la 5G désolant. 

Propos recueillis par JULIEN BISSON

 

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