À l'évidence, les villes de demain seront très différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. Le climat plus chaud qui s’installe, la raréfaction du vivant en cours et la nouvelle donne énergétique y entraînent déjà des changements d’organisation et de fonctionnement qui se veulent des réponses à ces crises environnementales globales dont les effets se font sentir localement. Il est désormais largement admis que le rétablissement de la viabilité de la planète, impératif structurant du XXIe siècle, se jouera pour une part essentielle dans les villes, lieux de concentration des humains et de construction d’une culture planétaire. Réussir la transition écologique de la société, rapidement, passe donc par une réinterrogation du concept de territoire urbain de multiples points de vue, notamment de celui de l’écologie en tant que science du vivant.

On peut voir les villes comme des superorganismes qui consomment des territoires et plus précisément les territoires de la régulation climatique, de la biodiversité et de la production de ressources alimentaires. Les villes ne sont pas suspendues dans le vide. Elles s’insèrent dans des espaces périurbains et ruraux qui influencent – on n’en est pas toujours bien conscient – les conditions de vie qui y règnent. Tout climat local, y compris le climat urbain, dépend du climat régional qui est, pour une part variable selon le régime de circulation atmosphérique, fonction de la distribution et des surfaces des forêts, des champs et des zones humides. Quelques études montrent ainsi qu’en cas de déforestation, par exemple, il y a des effets variables, à la hausse ou à la baisse, sur les précipitations, et souvent un accroissement de la température locale.

« Partout dans le monde l’expansion des villes menace des zones protégées »

Même si l’agriculture est aujourd’hui reconnue comme la cause principale de l’érosion de la biodiversité et du recul des milieux sauvages, les villes et les infrastructures intercités y contribuent en réduisant et en fragmentant les habitats de nombreuses espèces. Pas seulement leurs habitats mais aussi les écosystèmes dans leur entier, avec les services qu’ils rendent comme la séquestration du carbone dans les sols ou l’infiltration de l’eau vers les nappes phréatiques. Dans ces conditions, on ne peut pas ne pas se poser la question du zéro artificialisation nette, c’est-à-dire de la stricte compensation de tout nouvel usage du sol par la renaturation d’une surface égale. D’autant que partout dans le monde l’expansion des villes menace des zones protégées, dont 35 % en Europe de l’Ouest, par exemple, sont situées à une dizaine de kilomètres d’une ville. La maîtrise de l’expansion spatiale des villes est aujourd’hui clairement un enjeu d’atténuation des dérèglements environnementaux.

« La renaturation des villes apparaît ainsi comme une approche efficace, durable et peu coûteuse »

On peut aussi voir les villes comme des territoires de production de climat locaux, d’espaces pour la biodiversité, de ressources variées. Les villes accroissent les températures moyennes et les températures extrêmes en raison des propriétés physiques des matériaux qui les constituent et de la faible densité de la végétation. Elles sont aussi des zones de déséquilibre du cycle de l’eau, la composante ruissellement l’emportant sur celle de l’infiltration. Ces caractéristiques posent des questions de confort de vie et de sécurité des biens et des personnes en cas de canicule ou de fortes précipitations.

L’adaptation des villes aux changements climatiques peut passer par des solutions techniques dont le bilan environnemental doit être établi avec précision. Elle peut également passer par des solutions fondées sur la nature, ce qui présente l’avantage de répondre à plusieurs défis environnementaux en même temps. La renaturation des villes apparaît ainsi comme une approche efficace, durable et peu coûteuse, connue depuis longtemps, mais encore insuffisamment mise en œuvre.

On sait par exemple qu’en cas de canicule, le différentiel de température entre un parc urbain et une rue purement minérale atteint facilement 8 °C. Dans une rue canyon plantée d’arbres des deux côtés, la température de l’air à 2 mètres au-dessus du sol aux heures les plus chaudes de la journée est réduite de 3 à 4 °C. En cause, l’interception du rayonnement par le feuillage et la transpiration végétale, l’un des déterminants majeurs du climat local. Encore faut-il qu’il y ait de l’eau disponible ! Sans surprise, des études récentes menées dans les rues de Paris montrent que les arbres souffrent de stress hydrique, d’où l’importance de la désimperméabilisation des surfaces aujourd’hui bitumées.

« Planter des arbres dans les villes et plus généralement verdir les villes, c’est mener une politique de santé publique »

La ville peut connaître aussi des périodes de surabondance d’eau en cas de très fortes précipitations. Il existe alors des risques d’inondation et de saturation, voire de dégradation des installations d’assainissement. La mise en place de végétation sur les toits permet à la fois de diminuer la hauteur du pic de relargage de l’eau par les bâtiments et de retenir une partie de l’eau précipitée, jusqu’à près de 80 % dans le cas de végétation de haute qualité mélangeant plantes herbacées et plantes ligneuses, sur des substrats d’au moins 30 centimètres d’épaisseur. Et bien sûr, ce stockage de l’eau dans ces mini-écosystèmes permet d’alimenter ultérieurement le processus d’évapotranspiration.

Compte tenu des effets sur la santé des températures élevées, planter des arbres dans les villes et plus généralement verdir les villes, c’est mener une politique de santé publique – rappelons-nous que, lors de la canicule de l’été 2019, une surmortalité de près de 10 % a été enregistrée. C’est aussi mener une politique énergétique. Des modélisations appliquées il y a plus d’une trentaine d’années à New York ont établi que la présence de trois arbres de rue par immeuble de quatre à cinq étages permettait d’économiser 5 à 10 % de l’énergie utilisée pour la climatisation ou le chauffage. Une expérience plus récente concernant l’impact de la végétalisation des murs sur le coût énergétique de la climatisation a démontré que, dans les cas les plus favorables, l’économie pouvait dépasser 30 %.

« L’empreinte écologique des cent villes les plus peuplées serait de 18 % pour 11 % de la population mondiale »

La végétalisation des villes présente de nombreux autres intérêts. Elle contribue à diminuer significativement le niveau de certains polluants dans l’air, améliore le sentiment de bien-être et semble présenter des impacts positifs sur une partie de notre physiologie. Elle enclenche aussi une dynamique vertueuse pour la biodiversité dans son ensemble en procurant un habitat permanent ou temporaire à de nombreuses espèces, à condition que des espaces non bâtis soient disponibles et connectés aux territoires alentour. On trouve ainsi à Paris, ville compacte s’il en est, plus de 1 200 espèces végétales et environ 1 300 espèces animales. Bien entendu, des espèces indésirables peuvent aussi s’installer, mais avec des effectifs en général faibles, donc gérables, dès lors que la biodiversité totale est élevée.

L’énergie et l’agriculture sont les deux déterminants majeurs du réchauffement climatique et de la régression de la diversité biologique. Sans entrer dans le débat sur les vertus comparées de la ville et de la campagne en termes de qualité de vie, il reste à répondre à deux questions clés : le bilan environnemental d’un urbain, est-il meilleur que celui d’un rural ? L’urbanisation est-elle une bonne réponse à la crise environnementale ? Une idée dominante, c’est que la ville est en soi écologique car elle réduit la consommation d’espace, d’énergie et de matériaux par individu. Pourtant, l’empreinte écologique des cent villes les plus peuplées serait de 18 % pour 11 % de la population mondiale.

« Il est grand temps de mettre un peu de rationalité et de quantification dans cette question »

Les résultats des rares études disponibles sont souvent contradictoires car ils dépendent grandement de ce qui est pris en compte, notamment en ce qui concerne l’intégration des coûts environnementaux externalisés, par exemple celui de la production sur d’autres continents des aliments qui servent à nourrir les animaux que nous consommons. Sans que cela soit clairement établi aujourd’hui, il semble que la densité soit le nœud du problème. Un grand nombre d’habitants, de bâtiments et d’infrastructures au kilomètre carré présente en effet des avantages certains, comme la réduction des distances parcourues au quotidien, l’économie de matériaux et d’énergie dans les habitats collectifs, l’abondance des services, etc. – et des inconvénients tout aussi certains, comme la grande sensibilité aux canicules, l’éloignement des sources d’approvisionnement en eau et produits alimentaires, l’obstacle à la mobilité des espèces, entre autres. Il est grand temps de mettre un peu de rationalité et de quantification dans cette question et de rechercher un compromis : densifier, oui, mais pas dans les zones urbaines centrales où la ville est déjà trop dense pour qu’elle soit vraiment compatible avec l’impératif de transition écologique. 

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