Tournus est une petite ville-centre de 5 600 habitants située en Saône-et-Loire qui relie des espaces ruraux de faible densité aux villes intermédiaires de Mâcon et de Chalon-sur-Saône, ainsi qu’aux métropoles régionales que sont Lyon et Dijon. Bien dotée en équipements, elle conserve un caractère central pour le bassin de vie, malgré un processus de dévitalisation commerciale et démographique. Ses terres agricoles sont principalement consacrées à la viticulture, aux grandes cultures et à l’élevage, mais se caractérisent par un déficit en production maraîchère et fruitière.

En 2017, face au projet de construction d’un cinquième centre commercial devant recouvrir 20 000 m2 de terres agricoles en périphérie de la commune, un collectif citoyen, « Tournugeois vivant », se constitue pour s’opposer à cet aménagement qui risque d’accentuer la dévitalisation du centre-ville. Cette opposition qui repose sur des enjeux sociaux, environnementaux et alimentaires, conduit à la démission du conseil municipal et à de nouvelles élections que remporte la liste « Tournus citoyens », fondée dans le sillage de « Tournugeois vivant ». S’appuyant sur la mobilisation des habitants, la nouvelle équipe municipale a fait de la participation citoyenne, de la revitalisation du centre-ville et de la question alimentaire les trois axes principaux de son action. Fin 2019 se nouent des relations entre chercheurs, élus et associations qui répondent à un appel à projets du ministère de la Transition écologique : le programme de recherche participatif Popsu. Leur objectif : faire de la démocratie alimentaire un moyen de construire une vie locale désirable.

Un noyau dur d’une douzaine de personnes – habitants, élus et chercheurs – se met au travail, appuyé par des élèves ingénieurs d’AgroSup Dijon et des étudiants sociologues. À partir d’un principe d’égalité des savoirs et des relations, ils définissent ensemble les enjeux principaux et les actions concrètes à conduire dans le bassin de vie pour permettre l’accès de tous à une alimentation de qualité produite localement. La question de la gouvernance locale et des liens avec les institutions se pose rapidement. Trois points méritent alors d’être soulignés.

Premièrement, c’est une volonté citoyenne qui a largement inspiré l’engagement de la mairie dans le renouvellement de l’action publique. Par exemple, la réflexion et les démarches mises en œuvre pour l’amélioration de la qualité de l’alimentation offerte aux enfants dans les restaurants scolaires. Ou encore la mise à disposition de terres municipales pour la création d’un jardin partagé géré par une association, avec le soutien du service municipal des espaces verts. La philosophie du programme Popsu déployé à Tournus est en adéquation avec cette gouvernance par le bas.

Deuxièmement, les initiatives privées entrent difficilement dans les cadres institutionnels, même lorsqu’elles correspondent à des besoins locaux. Cela a été le cas pour le difficile maintien d’une épicerie mobile dans un espace rural, enjeu d’accès à l’alimentation, en particulier pour les personnes âgées. Après s’être vu refuser un prêt bancaire pour renouveler son camion, la commerçante a interpellé les élus municipaux de sa zone de chalandise, mais ses courriers sont majoritairement restés sans réponse. Une mobilisation citoyenne qui a pris la forme d’une campagne de financement participatif (crowdfunding), puis une subvention de soutien octroyée par la communauté de communes, ont permis de débloquer la situation : la banque a enfin accordé un prêt complémentaire. Un autre exemple est l’implantation d’un magasin de producteurs – élément clé de la construction d’une chaîne alimentaire locale – dans un bâtiment inoccupé de la SNCF idéalement situé. Les demandes de bail déposées par l’association d’agriculteurs auprès de la SNCF ont rencontré des difficultés. Une mobilisation importante du collectif d’agriculteurs, l’appui des élus municipaux et l’intervention de l’exécutif régional ont été nécessaires pour contourner les rigidités institutionnelles et pour obtenir enfin la location de cet emplacement à des conditions viables pour le collectif.

Troisième et dernier constat : lorsque les initiatives locales sont encadrées par des instruments d’action publique du type Projets alimentaires territoriaux (PAT), les acteurs de terrain (agriculteurs, producteurs, entreprises, associations…) qui souhaitent pleinement profiter de ces dispositifs doivent disposer de temps à consacrer aux démarches à mener, mais aussi de ressources techniques, culturelles et relationnelles.

En posant la question de l’innovation institutionnelle, le cas de Tournus invite à penser des outils qui privilégieraient davantage la coopération que le contrôle : il s’agit d’inventer de nouvelles façons de faire de la politique qui favoriseraient le « faire » des acteurs locaux et leur mise en lien. C’est à cette condition qu’une transition socioécologique pourra être envisagée sur les territoires. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !