Pour Guy Goffette, les soirs d’enfance ressemblaient à des couchers de soleil sur la neige : un corps tiède jeté dans des draps glacés. Alors, se demande-t-il, faut-il préférer aux maisons qui grincent les arbres où font halte les oiseaux ? Né en Lorraine belge, le poète nous offre des vers limpides comme la vie promise. On ne part pas, écrivait Rimbaud. 

L’art de naître un matin dans une cuisine de province
   entouré de choucas
(Ô la grise douleur des femmes qu’accuse la distance)
L’art de parler tout seul dans une cuisine de province
   sans attendre réponse
(Le cheval hennit au bout du pré, la mort est-elle
   moins dense ?)
L’art d’attendre la nuit dans une cuisine de province
   défaisant maille à maille
la robe de lumière qui habilla ma mère et la mère de ma
   mère (les yeux de chat assurent qu’elle m’ensevelira)
L’art de faire l’amour dans une cuisine de province
   avec des mots roulés
dans l’encre et la farine – et la femme à jamais lasse
   comme un cœur qui ne va pas à la ligne
L’art de descendre soleil dans une cuisine de province
   ayant jeté la clé
et le paillasson tout ensemble dans ce coin de mémoire
   envahi par les rats
L’art de mourir debout dans une cuisine de province
   regardant les collines
où les filles laisseront encore longtemps couler leurs
   hanches par ces après-midi trop vastes pour mes
   bras (ô dimanche en famille, amère adolescence)
L’art de n’avoir pas vécu dans une cuisine de province
   et d’y vouloir quand même
attendre le train d’Astapovo qui toujours vient à l’heure
   et qui toujours surprend.

Éloge pour une cuisine de province
© Champ Vallon, 1988

 

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