Dans Les Villes invisibles (1972), Italo Calvino avait écrit « un dernier poème d’amour aux villes », à travers un dialogue imaginaire entre Marco Polo et l’empereur de Chine. « Les villes, faisait-il dire au grand marchand vénitien, se croient l’œuvre de l’esprit ou du hasard, mais ni l’un ni l’autre ne suffisent pour faire tenir debout leurs murs. Tu ne jouis pas d’une ville à cause de ses sept ou soixante-dix-sept merveilles, mais de la réponse qu’elle apporte à l’une de tes questions. » Dans ce texte porteur d’utopies affleurait cette vision de la ville comme un lieu générateur de liens, propice au récit, à tous les imaginaires, à tous les possibles.

C’est à ces villes invisibles que le 1 a voulu s’intéresser. Ces villes de moins de 25 000 habitants qui rassemblent le tiers de la population française mais sont quasi absentes du débat politique. Les oppositions urbain-rural et centre-périphérie qui structurent la France laissent peu de place à l’entre-deux, ce que les Allemands appellent Zwischenstadt – l’« entre-ville » – et les Italiens la città diffusa, la « ville diffuse ».

Pour comprendre la diversité et la dynamique propre de ces petites villes, notre journal s’est associé à Popsu, la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines, dont les programmes de recherche (dans 35 petites villes et 15 métropoles) tentent de résoudre une problématique locale, avec l’appui de chercheurs, d’élus, d’habitants et d’experts. Les études de terrain, dont certaines sont ici présentées, montrent combien ce qui s’invente dans ces petites villes est décisif pour l’avenir du pays.

Décisif d’abord parce qu’elles doivent relever des défis majeurs : garantir la centralité des espaces ruraux – où l’on doit trouver aussi bien des médecins que des bibliothèques – et prendre le relais de métropoles engorgées, dans une période où plus de Français aspirent à vivre loin des grandes villes.

Décisif ensuite car ces petites villes, qui portent en partie l’industrie du pays (Vire Normandie) et les avancées de la recherche fondamentale (les biotechnologies à Roscoff), ont des atouts inédits pour réussir leurs mutations : la force des liens interpersonnels et de la mobilisation locale, comme le montre l’exemple de Tournus où une liste d’habitants élue s’attelle désormais à mettre en œuvre la transition alimentaire et agricole du territoire.

Pour accompagner leur transition, nul doute que ces entités à taille humaine devront concevoir un modèle de développement bien à elles. Penser leur politique de transport, réinventer ce que signifie l’attractivité, la croissance – en dépassant le seul critère démographique –, la relation avec l’État. Sans quoi, les petites villes, dans cet espace qui n’est ni la boue ni le bitume, comme l’écrit Marin Fouqué, peineront à conquérir la place qui leur revient. 

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