Dans le cycle des saisons, c’est la plus clivante. Celle qui provoque l’emballement le plus vif ou un rejet définitif. Rejet simple, évident : longtemps, l’hiver a incarné la vieillesse, la mort drapée de noir. « Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres », écrit Baudelaire dans l’attaque de son « Chant d’automne ». Mais cette vision n’est pas unanime. Il suffit de penser aux skieurs célébrant le culte moderne de la glisse sur piste pour s’en convaincre. Ou d’imaginer l’excitation d’enfants se livrant à une bataille de boules de neige. Au cours de l’entretien que nous a accordé Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du Giec, nous lui avons demandé sa saison préférée. « J’aime beaucoup la luminosité des journées d’hiver froides et sèches », a-t-elle répondu sans la moindre hésitation.

À chacun son hiver, ses souvenirs, sa vision. C’est ce que nous voulons éclairer dans ce numéro du 1 en observant cette saison sous différentes facettes. Les plus démunis, ceux dont ni les repas ni le toit ne sont assurés, redoutent naturellement les morsures du froid. La promesse de « zéro SDF dans la rue » demeure pourtant, hier comme aujourd’hui, un slogan creux. Le scandale perdure depuis la mise en place des premiers asiles de nuit au xixe siècle. La demande de secours n’a jamais faibli, comme nous le raconte la chercheuse Axelle Dolino-Brodiez. Après l’abbé Pierre (hiver 54) et Coluche (hiver 85), quelle figure charismatique se dressera pour secouer les consciences ? Et que dire des populations civiles bombardées, privées d’eau, de gaz et d’électricité quand le froid rend précisément si vulnérable. L’hiver devient alors une arme de destruction massive. On pense à l’Ukraine, bien sûr, confrontée à l’invasion russe. On pense à toutes ces armées prises dans les glaces et anéanties par le terrible général Hiver, cette invention de la propagande de Moscou sur laquelle Michel Foucher, spécialiste en géopolitique, nous éclaire.

Peut-être devrions-nous mieux apprécier le gel et la neige avant qu’ils ne se raréfient.

Cet hiver si redouté est néanmoins trompeur. On peste contre ses températures négatives sans avoir à l’esprit qu’elles le sont statistiquement de moins en moins. Peut-être devrions-nous mieux apprécier le gel et la neige avant qu’ils ne se raréfient. Il est temps de bien mesurer leurs avantages dans le cycle des saisons. De comprendre que le bon enneigement et le grand froid en haute altitude sont les conditions d’un approvisionnement régulier en eau douce au printemps et en été. Or nos politiques publiques nous conduisent à « des hivers encore plus doux et des étés encore plus chauds », prévient Valérie Masson-Delmotte. De quoi éprouver, nous dit-elle, « la nostalgie des hivers disparus ». Mais où sont les neiges d’antan ? 

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