Quelle est votre saison préférée ?

J’aime beaucoup la luminosité des journées d’hiver froides et sèches. Le scintillement des petites particules de glace dans l’atmosphère produit parfois cette luminosité rare, notamment dans les Vosges où j’ai passé beaucoup de vacances dans mon enfance. J’ai vécu en Lorraine, et le crissement de la neige sous les pas est associé à ces souvenirs d’enfance. J’ai retrouvé plus tard, dans des missions scientifiques au Groenland, cette beauté toute particulière de la lumière d’hiver, mais en été ! Même si elle rend la vie difficile, beaucoup de gens sont attachés à la neige, à sa beauté éphémère.

Depuis le milieu du XXe siècle, l’une des conséquences du réchauffement planétaire est que les vagues de froid sont devenues moins nombreuses et moins intenses en France.

Mouthe, dans le Haut-Doubs, village réputé le plus froid de France, est-il lui aussi sensible au réchauffement ?

Oui, le microclimat de la petite Sibérie française est exceptionnel parce que sa combe piège l’air froid nocturne et facilite son refroidissement. Mais le climat de Mouthe est aussi affecté par le réchauffement : le nombre de jours de gelée en octobre y a diminué, et le nombre de jours avec au moins 20 centimètres de neige au sol a été divisé par deux depuis les années 1960, ce qui affecte le ski de fond. Ce qui est remarquable en France, lorsqu’on regarde la structure du réchauffement, c’est de constater qu’il est globalement plus prononcé dans le quart nord-est de la France.

« Dans le massif de la Chartreuse, vers 1 500 mètres d’altitude, chaque degré de réchauffement planétaire de plus va continuer à entraîner un recul de la durée moyenne d’enneigement d’un mois supplémentaire »

Quelle est la situation dans les Alpes et les Pyrénées ?

Samuel Morin de Météo France a établi que, dans le massif de la Chartreuse, vers 1 500 mètres d’altitude, chaque degré de réchauffement planétaire de plus va continuer à entraîner un recul de la durée moyenne d’enneigement d’un mois supplémentaire. On observe par ailleurs une diminution généralisée des glaciers. Ces derniers gagnent de la masse par l’enneigement d’hiver, mais en perdent davantage par la fonte estivale qui augmente avec le réchauffement.

Ce qui est spectaculaire, c’est la perte des petits glaciers. Rien qu’en 2022, celui d’Ossoue dans les Pyrénées a perdu 4,5 mètres d’épaisseur. À haute altitude, les glaciers qui étaient auparavant gelés en permanence se transforment du fait de la fonte en surface et de la circulation d’eau liquide. Les glaciers d’Argentière et de la mer de Glace (massif du Mont-Blanc), de Gébroulaz (Vanoise) et de Saint-Sorlin (Grandes Rousses) ont perdu 25 mètres d’épaisseur (en équivalent eau) en vingt ans.

Ce phénomène a des implications importantes, car la neige et les glaciers stockent les précipitations d’hiver qui sont ensuite déstockées pendant les saisons plus chaudes. Cela approvisionne les cours d’eau, les réservoirs d’altitude (utilisés pour l’hydroélectricité), et humidifie les sols localement.

Vous parlez de la « perte des petits glaciers » avec nostalgie.

Oui, parce que les personnes qui vivent dans les régions de montagne et celles qui aiment la haute montagne expriment ce sentiment de perte lorsqu’ils décrivent ce qu’ils observent. Il existe un mot pour l’exprimer : la solastalgie, un néologisme inventé par le philosophe australien Glenn Albrecht. La solastalgie caractérise la souffrance psychique face à la perte de paysages ou d’écosystèmes qu’on a connus et qu’on ne retrouvera jamais. C’est la nostalgie d’un environnement disparu, comme nous pouvons éprouver la nostalgie des hivers disparus. Cet attachement à un paysage, à un écosystème familier, que l’on aurait souhaité conserver et transmettre, mais qui sera inexorablement perdu ou altéré peut s’exprimer pour un glacier qui fond, une forêt qui brûle, un littoral qui s’érode.

Qu’est-ce qui confère à un hiver donné ses caractéristiques climatiques ?

Il y a d’abord les paramètres structurels : le niveau d’ensoleillement de la Terre, la quantité de rayonnement qui repart vers l’espace, la part qui est absorbée et réchauffe la surface... S’y ajoutent ensuite les effets dynamiques liés à la circulation des courants dans l’Atlantique Nord et aux configurations météorologiques reflétant la trajectoire des vents. Les épisodes de froid extrême dans nos régions se produisent notamment lors de situations météorologiques favorisant l’arrivée de masses d’air froid provenant de l’Arctique ou de la Russie, pendant plusieurs jours.

« Comme nous perdons l’habitude des hivers froids, nous sommes maintenant surpris par des épisodes froids qui n’ont rien d’exceptionnel »

Comme l’Arctique se réchauffe beaucoup plus vite que le reste de la planète, il nous envoie de l’air moins froid qu’il y a quelques décennies. Même avec des configurations météorologiques hivernales exceptionnelles (comme en 2009-2010), les hivers d’aujourd’hui sont moins rigoureux que pendant les années 1950-1960. Mais comme nous perdons l’habitude des hivers froids, nous sommes maintenant surpris par des épisodes froids qui n’ont rien d’exceptionnel...

Pour ce qui concerne la France, atteint-on la fin d’un cycle ?

Il n’est pas question de cycles, mais d’une rupture par rapport à la variabilité naturelle historique du climat. Depuis la révolution industrielle, la combustion d’énergies fossiles, les changements d’usage des terres ont engendré le rejet de quantités colossales de gaz à effet de serre, qui continuent aujourd’hui à augmenter. Cela modifie profondément la composition de l’atmosphère, avec des niveaux de gaz à effet de serre inédits sur plus de 800 000 ans. Cette rupture est très rapide par rapport aux rythmes des lentes variations qui ont lieu à l’échelle géologique, et les changements sont plus importants que la variabilité historique des derniers millénaires. Ce sont les activités humaines qui ont conduit à ce réchauffement, qui s’élève à 1,1 °C à l’échelle mondiale et à 1,7 °C en France par rapport à la période 1900-1930. L’ampleur de ce phénomène planétaire et du rythme du recul généralisé des glaciers ou de la montée de la mer – qui résulte de la fonte des glaciers et du réchauffement de l’océan – depuis 1950 est inédite sur plus de deux mille ans.

En quoi est-il important d’avoir un « vrai » hiver en France ?

L’hiver est nécessaire aux végétaux qui ont un besoin de dormance. C’est le cas des arbres fruitiers, qui transportent de la sève tant que les températures sont élevées et se mettent au repos quand elles chutent. Et puis, il y a un seuil de température qui déclenche la reprise de l’activité biologique de la plante et permet de donner les premiers bourgeons. Une conséquence du réchauffement est un allongement de la saison de croissance des plantes, avec un démarrage plus précoce du fait d’hivers plus doux (bourgeons, floraison) ; elles sont alors plus exposées aux dommages induits par des épisodes de gel tardif, toujours présents, même s’ils sont moins intenses.

« Des hivers plus doux favorisent l’expansion vers le nord de la chenille processionnaire du pin (4 kilomètres par an) ou du moustique-tigre, vecteur de maladies comme la dengue »

En l’absence d’hivers froids, les biologistes décrivent aussi une augmentation de la présence des ravageurs, notamment pour les cultures. Ou de certains champignons, qui prolifèrent dans des conditions douces et humides. Des hivers plus doux favorisent l’expansion vers le nord de la chenille processionnaire du pin (4 kilomètres par an) ou du moustique-tigre, vecteur de maladies comme la dengue.

À l’inverse, il ne faut pas oublier qu’un climat qui se réchauffe présente aussi des opportunités. Pour les humains, on l’a bien vu en décembre 2022, la diminution de la rigueur de la période hivernale permet de réduire le besoin de chauffage – la baisse est d’environ 20 % depuis les années 1980 –, mais avec toujours une grande variabilité d’un hiver à l’autre.

À quels impacts peut-on s’attendre du fait d’hivers plus doux ?

En montagne, le réchauffement va entraîner de multiples aléas, liés notamment au dégel des sols (affaissements de parois, glissements de terrain, coulées de débris) et au recul des glaciers (vidanges brutales de lacs proglaciaires) ; et il va se conjuguer à l’intensification du cycle de l’eau et de sa variabilité (inondations et avalanches du fait d’épisodes de pluie intense sur la neige, mais aussi sécheresses agricoles). Cela aura des effets sur les itinéraires d’escalade, d’alpinisme ou de randonnée. Le recul de l’enneigement va continuer à affecter les conditions d’exploitation pour le ski et l’augmentation de la dépendance de cette activité à l’enneigement artificiel. Il rend aussi l’approvisionnement en eau plus erratique, avec une compétition croissante pour l’utilisation de cette ressource entre les centrales hydroélectriques, l’agriculture et le tourisme, notamment.

En aval, le recul de l’enneigement graduel en montagne et des glaciers entraînera une baisse inéluctable d’approvisionnement en eau l’été, qui se conjuguera à une augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur et des sécheresses pour chaque incrément de réchauffement planétaire supplémentaire. S’y préparer est essentiel pour éviter des tensions croissantes sur les différents usages de l’eau.

Est-ce la fin de l’hiver blanc que nous avons connu ?

Le climat de la France va continuer à évoluer à mesure que progressera le niveau du réchauffement planétaire. Si rien ne change dans nos politiques publiques, nous aurons des hivers encore plus doux, avec moins de jours de gel, et des étés bien plus chauds, avec une augmentation des vagues de chaleur, des sécheresses agricoles, des conditions propices aux incendies. Le record deviendrait la norme.

Comment s’adapter ?

Il faut se méfier de la « mal-adaptation ». Les canons à neige, par exemple, coûtent des centaines de milliers d’euros, utilisent de l’eau alors qu’elle pourrait servir en agriculture et inondent des zones humides pour stocker de l’eau en automne, ce qui détruit des écosystèmes. Or le jour où les températures deviennent positives, ces enneigeurs ne servent plus à rien.

Ce sont des questions complexes, qui dépendent aussi localement des rapports de force. Il est essentiel de donner aux acteurs des informations climatiques qui soient utiles à leur prise de décision. C’est ce qu’on appelle l’« adaptation transformatrice » au changement climatique. 

 

Propos recueillis par Laurent Greilsamer & Hélène Seingier

 

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