En Espagne, c’est une avancée majeure que les défenseuses et les défenseurs des droits des femmes ont pu célébrer le 7 octobre 2022 : la loi organique de garantie intégrale de la liberté sexuelle (Logils), mieux connue sous le nom de la loi « solo sí es sí » – en français, « seul un oui est un oui » – est entrée en vigueur. Cette loi avant-gardiste, qui fait du consentement le critère pour définir une violence sexuelle, a suscité toutefois de nombreux débats au sein de la société espagnole.

Le préambule de la Logils est clair : « Les violences sexuelles ne sont pas un sujet individuel, mais social ; et il ne s’agit pas d’un problème conjoncturel mais structurel, étroitement lié à une culture sexuelle, enracinée dans des schémas discriminatoires, qui doit être changée […], il s’agit de changer un ordre patriarcal. » Nombre de juristes ont salué ce « saut qualitatif », vingt ans après la fameuse loi-cadre de lutte contre les violences de genre (loi organique 1/2004), qui ne s’intéressait aux violences faites aux femmes que dans le cadre du couple. Il était temps : souvent présentée comme un pays modèle en termes de lutte contre les violences de genre, l’Espagne avait pourtant un retard important concernant les violences sexuelles. Ce n’est qu’en 2015 que l’État a commencé à produire des données statistiques officielles sur celles qui se produisent en dehors du couple.

Le pari est de renverser la culture du viol

À l’origine de la loi « solo sí es sí » se trouve la question du consentement. Le mouvement qui a abouti à sa promulgation remonte à 2017. Cette année-là, un groupe de cinq jeunes hommes autobaptisé « la manada » – « la meute » en français – est jugé pour avoir violé collectivement une jeune femme de 18 ans lors des fêtes de San Fermín, à Pampelune, l’année précédente. Parce que la victime, en état de sidération, ne s’était pas débattue, les juges ont conclu que les agresseurs n’avaient fait usage ni de violence ni d’intimidation, et qu’il s’agissait d’un simple abus sexuel, non d’un viol. Cette qualification en première instance a suscité une vague d’indignation qui, transformée en énergie militante, a abouti à la promulgation de la loi Logils. Son objectif est donc de mettre fin à la distinction qui existait dans le Code pénal espagnol entre abus sexuel et agression sexuelle (viol), et de supprimer la violence physique ou l’intimidation comme condition nécessaire à la qualification d’un viol.

Cette évolution ne fait que répondre aux engagements qu’a pris l’Espagne en 2014 – soit il y a dix ans ! – en signant la convention d’Istanbul, dont l’article 36 fait du consentement l’axe central de la définition des violences sexuelles. L’objectif est bien de mettre fin à la « présomption de consentement » en arrêtant d’exiger des victimes qu’elles prouvent la dimension violente de leur agression. Le pari est de renverser la culture du viol : ne plus se centrer sur le comportement de la victime – comment était-elle habillée ? est-ce qu’elle était alcoolisée ? pourquoi ne s’est-elle pas défendue ? – et braquer le projecteur sur l’agresseur – s’est-il assuré que la personne était consciente, ni droguée ni endormie, et qu’elle pouvait donner son consentement libre, éclairé, affirmatif, enthousiaste ?

La réforme pénale – soit la redéfinition de l’agression sexuelle à partir de la notion de consentement – est certes très importante, mais elle n’est pas la seule à devoir être prise en compte. La Logils se veut une loi intégrale, c’est-à-dire qu’elle met aussi en œuvre toute une série de moyens pour lutter contre les violences sexuelles. Elle pose, entre autres, la question de l’obligation de formation spécialisée des professionnels, comme les juges et les procureurs, et du droit des victimes à une assistance intégrale spécialisée, à savoir un soutien psychologique, juridique et social. Elle crée sur tout le territoire, suivant le modèle anglo-saxon des rape crisis centers, des centres d’accueil pour les victimes de viol ouverts 24 heures sur 24. Enfin, elle permet aux victimes de bénéficier de la collecte de preuves par la médecine légale sans avoir à porter plainte obligatoirement.

Avec la fusion des délits d’agression et d’abus sexuels, les peines sont parfois moins lourdes qu’avant

La promulgation de la loi « solo sí es sí » ne fait pas pour autant l’unanimité en Espagne, à droite comme à gauche. Avec la fusion des délits d’agression et d’abus sexuels, les peines sont parfois moins lourdes qu’avant. Lors de l’entrée en vigueur de la loi, certains juges ont revu certaines peines à la baisse, et des agresseurs ont pu bénéficier d’une excarcération. En cause : un principe fondamental du droit pénal, celui de la non-rétroactivité de la loi, sauf si celle-ci bénéficie au condamné. Ces conséquences, très critiquées au Parlement et dans les médias, ont généré de nombreuses controverses au sein de la société. Seulement six mois après sa promulgation, le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) a décidé de revenir en arrière, en introduisant à nouveau l’exigence de l’intimidation ou de la violence pour caractériser une agression sexuelle. La réforme de la loi a finalement été adoptée au printemps 2023, laissant un goût amer à une partie de la gauche et des féministes.

Dans un communiqué, une centaine de collectifs féministes se sont opposés à cette nouvelle réforme en expliquant que la réduction des peines des agresseurs n’était en rien une fatalité. Ces associations défendaient l’idée que, si certains juges étaient encore machistes et imprégnés de la culture du viol – d’où la relative faiblesse des dernières condamnations –, il fallait laisser du temps à cette loi pour qu’elle puisse transformer les mentalités. De plus, ces féministes critiquaient le populisme pénal – l’idée qu’il faut des peines très lourdes, voire de la prison à vie, pour les agresseurs – qui s’est imposé comme l’une des voix dominantes face à la question des violences sexuelles. « Augmenter les peines ne nous protège pas et ne nous a jamais protégées », affirmaient-elles, tout en exprimant le souhait que soit mis un terme à l’impunité dont bénéficie la majorité des agresseurs.

De ce point de vue, la condamnation du footballeur brésilien Dani Alves, ce jeudi 22 février, pour un viol commis dans une boîte de nuit barcelonaise, sonne comme une victoire. Certes, il a écopé de la peine la plus basse – quatre ans et demi de prison et cinq ans de liberté surveillée –, mais, avant la loi « solo sí es sí », il serait resté dans une impunité totale. Ainsi, la majorité des féministes continuent de soutenir l’esprit de la loi du « solo sí es sí » en rappelant l’importance d’une approche par le consentement. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !