Au lendemain de la Révolution, le viol devient un crime. L’article 29 du Code pénal de 1791, qui lui est consacré, se résume à une peine : « Le viol sera puni de six ans de fers. » Il faut attendre 1980 pour qu’une définition officielle lui soit attribuée.

Dans les travaux actuels, la date de 1791 est souvent considérée comme le début de la prise en compte du consentement féminin. Le viol est décrit comme supplantant les crimes de rapt et d’adultère, qui auraient dominé pendant l’Ancien Régime (XVIe siècle-XVIIIe siècle) et auparavant. Le rapt, l’enlèvement d’une personne contre son gré ou celui de ses parents, renvoie dans les cours de justice à l’enlèvement d’une jeune fille sans le consentement de son père. L’adultère désigne quant à lui un rapport sexuel réalisé avec une femme mariée, au préjudice du chef de famille garant de la réputation du foyer. Qualifier de rapt et d’adultère un rapport non consenti revient à mettre l’emphase sur le consentement des hommes plutôt que sur celui des femmes ; du père pour le premier, de l’époux pour le second. Si les périodes antiques grecque et romaine font de la violence – et donc de l’absence de consentement féminin – une circonstance aggravante de ces deux crimes, dès l’époque médiévale les cours de justice mentionnent le viol et il devient dans certains traités juridiques du siècle des Lumières un crime à part entière.

Soupçonnées d’avoir consenti, les femmes peinent à voir leur parole crue

La prise en compte du consentement féminin n’apparaît donc pas abruptement en 1791 ; elle est le fruit d’une évolution sinueuse, que l’on entraperçoit plus ou moins distinctement en fonction des époques et des sources à disposition.

Du latin violare, qui signifie « traiter avec violence » ou « faire violence », le terme « viol » apparaît pour la première fois dans son sens de prendre une femme par la force en 1190. Cet emploi se stabilise ensuite à la fin du XVIIe siècle et se généralise au début du XVIIIe siècle.

À l’aube du siècle des Lumières, le viol n’est plus une simple circonstance aggravante des crimes de rapt et d’adultère, mais un crime à part entière et la première victime du préjudice est non plus le chef de famille mais la femme. Cette avancée juridique contraste avec la réalité judiciaire : les femmes préfèrent généralement cacher le crime plutôt que de l’exposer au grand jour dans un tribunal, ce qui équivaudrait pour elles à risquer la perte de leur honneur sans qu’elles soient pour autant assurées de voir leur violeur condamné. Soupçonnées d’avoir consenti, les femmes peinent à voir leur parole crue. Jean-François Fournel, avocat et juriste, écrit dans son Traité de l’adultère de 1778 que, « quelle que soit la supériorité des forces d’un homme sur celles d’une femme, la nature a fourni à celle-ci des ressources sans nombre pour éluder le triomphe de son adversaire ». Selon lui, un viol réussi est un viol à demi consenti car « la sagesse qui succombe est presque toujours une demi-sagesse ». La justice attend donc des femmes qu’elles prouvent l’absence de leur consentement par des cris, des blessures, une résistance constante, mais aussi un honneur antérieur irréprochable, symbolisé par leur virginité ou leur chasteté conjugale.

Avant 1990, consentir au mariage crée en France un consentement sexuel à vie

Si le Code de 1791 fait du viol un crime, l’absence d’une définition officielle de l’acte entraîne des peines plus légères qu’au cours du siècle écoulé, durant lequel un procès pour viol d’enfant pouvait aboutir à une condamnation aux galères ou à la mort. La définition que donne du viol la jurisprudence de l’époque repose une nouvelle fois sur la résistance constante de la femme victime, avec parfois une mention de l’absence de volonté, ébauche de la notion actuelle de consentement. La grande avancée du XIXe siècle réside dans l’ajout de deux nouveaux crimes : l’attentat à la pudeur avec violence (1810), qui permet de condamner des actes sexuels sans pénétration, et l’attentat à la pudeur sans violence, pour les enfants de moins de 11 ans en 1832 puis de moins de 13 ans en 1863.

Cette prise en compte du consentement féminin est cependant restreinte, puisqu’elle ne concerne pas la sexualité conjugale, seule sexualité socialement autorisée pour les femmes jusqu’au XXe siècle.

Avant 1990, consentir au mariage crée en France un consentement sexuel à vie, que seuls la mort puis le divorce, instauré en 1884, peuvent faire cesser. Le devoir conjugal, défini par saint Paul dans son Épître aux Corinthiens (7, 2-6), contraint l’épouse et l’époux à avoir des relations sexuelles dans le but premier de procréer. Des rôles distincts sont cependant attendus de l’une et de l’autre : contrairement à l’époux qui doit faire explicitement mention de son désir pour avoir un rapport sexuel, l’épouse, elle, peut uniquement faire deviner ses intentions et déléguer la charge de l’interprétation. Cette différence fondamentale accroît le rôle passif de l’épouse dans la sexualité conjugale et, entre contrainte d’avoir une sexualité et interprétations de l’époux, limite sa capacité à pouvoir dire non.

la France, à rebours de ces avancées, s’est tout récemment opposée à la caractérisation du viol par l’absence de consentement proposée au niveau européen

Face à cette injonction, des voix s’élèvent néanmoins, comme Rousseau dans l’Émile, paru en 1762, qui conseille au mari d’obtenir « tout de l’amour sans rien exiger du devoir ». Cette attention portée au consentement de l’épouse, voire à son désir, se retrouve dans certains écrits du for privé – journaux intimes, correspondances et chroniques familiales et autres sources précieuses pour entrevoir l’intimité des individus du passé. Le marquis de Bombelles écrit par exemple à sa jeune épouse Angélique de Mackau, le 9 mai 1778, à propos de leurs futures retrouvailles : « J’attendrai […] que mon ange, sans m’affliger du mot de devoir, trouve dans son inclination l’envie de m’appeler [dans le lit] près d’elle. »

Loin d’être linéaire et faite de ruptures franches, l’histoire est en clair-obscur, composée de périodes et d’évolutions nuancées. L’époque actuelle ne fait pas exception, puisqu’il aura fallu attendre 1980 pour que le crime de viol soit défini, 1992 pour que le viol conjugal apparaisse dans la loi et 2021 pour qu’un âge minimum de consentement soit établi (15 ans). Rappelons que la France, à rebours de ces avancées, s’est tout récemment opposée à la caractérisation du viol par l’absence de consentement proposée au niveau européen.

Dans ce contexte, historiens et historiennes ont un rôle à jouer, celui défini par la grande spécialiste de l’histoire des femmes et militante féministe Yvonne Knibiehler : « observer le passé pour rendre le présent plus intelligible et pour construire l’avenir avec plus d’aisance ». 

 

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