Yehuda Amichaï se disait « un fanatique de la paix ». Son œuvre, à la fois joyeuse et mélancolique, est liée à Jérusalem, qu’il a habitée de 1935 à sa mort. Une ville dont l’air, écrivit-il, est chargé de prières et de rêves comme l’air au-dessus des villes industrielles. Il fut un temps où ses poèmes le rendaient plus respirable. 

Poèmes de continuité, mines et tombes.
On les découvre quand on construit une maison ou une route :
alors arrivent les hommes-corbeaux du quartier noir de Méa Shéarim
pour se lamenter amèrement, « un mort, un mort ». Alors viennent de jeunes 
soldats et de leurs mains, nées de la dernière nuit,
ils déchargent du fer et déchiffrent la mort.

Venez, nous ne construirons pas de maison, nous ne tracerons pas de route !
nous ferons une maison pliée dans un cœur et une route
enroulée comme sur une bobine dans l’âme, à l’intérieur,
et nous ne mourrons jamais.

Les gens d’ici vivent dans des prophéties qui se sont réalisées
comme dans un nuage lourd après une explosion qui ne s’est pas dispersé.
Et ainsi, dans leur cécité solitaire, ils se touchent mutuellement
entre les jambes, entre chien et loup, 
car ils n’ont pas d’autre temps et ils n’ont pas
d’autre lieu et les prophètes sont morts depuis longtemps.

Extrait du poème « Le temps » dans Perdu dans la grâce, traduit de l’hébreu par Emmanuel Moses © Éditions Gallimard, 2006

Vous avez aimé ? Partagez-le !