Il y a dix ans, quelques semaines durant, la place Tahrir, au Caire, focalisa l’attention du monde entier. Plus que la Tunisie, d’où le mouvement était parti, l’Égypte, le plus peuplé des pays arabes, incarna début 2011 le surgissement des Printemps arabes, cette formidable aspiration à changer la vie. Sur cette même Égypte, un maréchal-président, Abdel Fattah al-Sissi, impose aujourd’hui sa poigne de fer. Non seulement il réprime férocement les Frères musulmans, qu’il a expulsés du pouvoir par un coup d’État militaire en juillet 2013, mais encore il persécute tout militant porteur d’une revendication démocratique. Aujourd’hui, en Égypte, on emprisonne, on torture, on exécute. Non que les terroristes y soient inexistants, mais sous prétexte d’une « guerre au terrorisme », un pouvoir militaire et policier répand sur tous la peur sans contrainte.

Il y a un mois pourtant, Emmanuel Macron recevait en visite d’État le président Sissi. Bien sûr, les affaires sont les affaires et la diplomatie d’un État ne peut se résumer à la seule préservation des droits de l’homme. Mais, cette fois, l’affaire était plus politique qu’économique : le président Macron recevait un pilier de la lutte contre l’islamisme radical. Donc un allié de la France. Il y a dix ans, le Tunisien Ben Ali, l’Égyptien Moubarak et d’autres dirigeants que les insurgés appelaient à « dégager » étaient déjà nos « alliés », pour le même motif : nous protéger des terroristes. À ceci près que face à l’exigence de démocratie et de dignité surgie du tréfonds des sociétés arabes, le gouvernement français, après quelques errements, avait effectué un tournant à 180 degrés.

Ce numéro, consacré aux dix ans des Printemps arabes, insiste autant sur la continuité des soulèvements populaires dans de nouveaux pays que sur l’effroyable régression qui s’est parallèlement installée dans l’espace arabe, avec les terribles guerres en Syrie et au Yémen et la progression, partout hormis en Tunisie et au Soudan, de régimes de plus en plus autoritaires. Pourtant, nous disent ceux que nous publions, les enjeux aux origines des Printemps arabes – l’insondable corruption des régimes, l’accroissement constant des inégalités sociales, le sentiment général d’étouffement – sont plus que jamais d’actualité. Tout comme le sont, en contrepoint, l’exigence de démocratie et l’espoir d’une vie meilleure. « Travail, Liberté, Dignité » : hier, ces mots d’ordre soulevaient la Tunisie, l’Égypte, la Syrie et d’autres… Aujourd’hui, ils s’entendent en Algérie, au Maroc, au Liban, au Soudan ou en Irak.

Des Printemps arabes sont sortis le plus prometteur et aussi le pire. Pourquoi donc faudrait-il s’allier au pire ? 

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