C’est en plein hiver que survient, de manière inattendue, le « Printemps arabe ». Le 17 décembre 2010, à Sidi Bouzid, un bourg agricole du centre de la Tunisie, Mohamed Bouazizi, un jeune chômeur déclassé, s’immole par le feu après que sa marchandise a été confisquée par des policiers. Dès le lendemain du drame, la colère s’étend à d’autres villes du pays. Le président Zine el-Abidine Ben Ali, au pouvoir depuis vingt-trois ans, dénonce « des actes terroristes » perpétrés par « des voyous cagoulés ». Les morts se compteront bientôt par dizaines au cours des affrontements avec les forces de l’ordre. « Dégage ! » crie-t-on à Ben Ali, qui est accusé non seulement d’avoir instauré un régime policier, mais de piller la Tunisie. Le 14 janvier 2011, dépassé par les événements, il fuit avec sa famille en Arabie saoudite.

Cinq jours plus tard, alors que des manifestations ont éclaté en Jordanie, au Yémen et au Liban, que des immolations par le feu sont signalées en Algérie, en Égypte et en Mauritanie, un sommet de la Ligue arabe est réuni à Charm el-Cheikh, dans le sud du Sinaï. Pour une fois, son secrétaire général, Amr Moussa abandonne la langue de bois. « Les citoyens arabes, déclare-t-il, sont dans un état de colère et de frustration sans précédent. »

Le 25 janvier, en Égypte, c’est la fête de la police. Comme chaque année, une poignée d’opposants veut profiter de l’occasion pour « faire sa fête » à la police. Tentative dérisoire, qui n’a aucune chance d’aboutir. Mais, ce mardi 25 janvier 2011, encouragés par la chute de Ben Ali, les protestataires, qui se sont organisés par l’intermédiaire des réseaux sociaux, vont – à leur propre surprise – entraîner des milliers d’habitants du Caire à leur suite. Les manifestants se heurtent aux forces de sécurité en essayant de converger vers l’immense place Tahrir (« libération » en arabe) qui ne va pas tarder à mériter son nom et à devenir aussi célèbre que Tiananmen.

Les affrontements ne se limitent pas à la capitale. Le bilan de cette journée historique (on parlera désormais de « la révolution du 25 janvier ») est de 3 morts et plus de 150 blessés. Un soulèvement en direct : pendant dix-huit jours, l’événement de Tahrir sera filmé et retransmis par les télévisions du monde entier.

La « révolution du 25 janvier » n’a ni chefs ni caractère idéologique. Ce n’est pas au nom du marxisme, de l’antisionisme ou de l’islam que des Égyptiens, de plus en plus nombreux, se mobilisent, mais pour réclamer liberté et karama (dignité, respect), dénoncer les brutalités policières et la corruption. Les Frères musulmans, qui observaient prudemment le mouvement, s’y joignent le quatrième jour, faisant descendre leurs gros bataillons dans la rue. C’en est fait de Hosni Moubarak, qui paraissait éternel après vingt-neuf ans de règne. Même l’armée, dont il est issu, finit par le lâcher. La haute hiérarchie militaire en profite ainsi pour enlever toute chance à Gamal, le fils cadet du pharaon – un civil entouré d’hommes d’affaires – d’accéder un jour à la présidence.

Le 11 février 2011, dix-huitième jour du soulèvement égyptien, Moubarak est contraint de s’exiler dans son palais de Charm el-Cheikh. Place Tahrir, où des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées, une clameur immense, interminable, salue son départ. On s’embrasse, on danse, on pleure de joie. L’Égypte se sent redevenir oum el-donia, la mère du monde.

En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, c’est du délire. Si le plus grand pays arabe bascule dans la démocratie, tous les régimes autoritaires, monarchies ou républiques, ne tomberont-ils pas l’un après l’autre, comme des dominos ? Les observateurs constatent « la fin de l’exception arabe ». Ces peuples, que l’on disait résignés, démontrent qu’ils sont capables de se révolter contre l’oppression, à l’instar des Latino-américains ou des Européens de l’Est. La région est bel et bien entrée dans la mondialisation, en donnant aux réseaux sociaux une nouvelle fonction. « Facebook permet de planifier les manifestations, Twitter les coordonne et YouTube les communique au monde », explique le plus célèbre des internautes égyptiens, Wael Ghonim.

Chaos en Libye, horreur en Syrie

En Tunisie, après la fuite de Ben Ali, un gouvernement d’union nationale a été formé et une amnistie générale décrétée. Ce qui permet le retour au pays de plusieurs figures de l’opposition. Des élections libres sont prévues dans les six mois. En Égypte, le Conseil suprême des forces armées s’est engagé à assurer une transition démocratique. L’euphorie continue, même si les dix-huit jours de soulèvement ont fait des centaines de morts et des milliers de blessés.

Mais, en cet hiver 2011, le « Printemps » ne fleurit pas partout. À Manama, capitale de Bahreïn, des manifestants appartenant principalement à la communauté chiite ont réclamé en vain la fin de la monarchie et la fermeture des bases américaines. L’Arabie saoudite est intervenue militairement pour mater la rébellion et sauver le trône du roi Hamed ben Issa. Elle surveille comme le lait sur le feu le Yémen voisin où, dès le 27 janvier, les forces de l’ordre ont tiré sur ceux qui exigeaient le départ du président Ali Abdallah Saleh, en poste depuis trente-deux ans.

Le record arabe est détenu par Mouammar Kadhafi, arrivé au pouvoir en 1969… La Libye non plus n’échappe pas à la contagion. L’arrestation, le 15 février, d’un avocat de Benghazi, Fathi Terbil, provoque le lendemain une « journée de la colère ». Et, après une violente répression, un « Conseil national » est formé par des opposants. Invité par l’Union européenne à répondre aux « aspirations légitimes » de son peuple, le dictateur libyen s’emploie à mater la rébellion par tous les moyens.

Cette fois, le

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