Tous les champs du monde
ligués contre deux petites lèvres
Toutes les avenues de l’Histoire
liguées contre deux pieds nus
Mon aimée
Eux voyagent et nous, nous attendons
Eux possèdent les potences
nous, nous avons les cous
Eux possèdent les perles
nous les taches de rousseur, les verrues
Eux possèdent la nuit, l’aube, le midi et le jour
nous, nous avons la peau et les os
Nous semons dans la canicule et eux mangent à l’ombre
Leurs dents sont blanches comme du riz
et les nôtres farouches comme les forêts
Leurs poitrines sont aussi douces que la soie
nos poitrines poussiéreuses comme les places d’exécution
Malgré cela, nous sommes les rois du monde
Leurs maisons sont pleines de feuilles de dossiers
les nôtres de feuilles d’automne
Dans leurs poches, il y a les adresses des traîtres et des voleurs
dans les nôtres, celles du tonnerre et des fleurs
Eux possèdent les fenêtres
nous les vents
Eux possèdent les bateaux
nous les vagues
Eux possèdent les médailles
nous la boue
Eux possèdent les murailles et les balcons
nous les cordes et les poignards
Et maintenant 
allons dormir sur les trottoirs, ô mon aimée

 La joie n’est pas mon métier, traduit par Abdellatif Laâbi, La Différence, « Orphée », 2013
© La Différence

 

Mohamed al-Maghout a connu les geôles syriennes. Exilé à Beyrouth, il compose entre 1959 et 1970 trois recueils de poèmes combatifs jusqu’au désespoir. Demandant leurs filets vides aux pêcheurs, leurs nippes aux paysans pour préparer un « énorme dossier » sur la souffrance humaine, à soumettre à un dieu analphabète. 

 

 

 

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