C’était à Noël je crois, au milieu des années 1990. Le jeune garçon que j’étais alors rêvait déjà de journalisme, mais peinait à lire les grands quotidiens. Trop de mots compliqués, trop de sigles inconnus, d’infos sous-entendues. L’actualité est un langage qui demande à être déchiffré. On finit donc par m’offrir un livre, un gros recueil de dessins signés d’un nom que je découvrais et qui fleurait bon la culture : Plantu. C’était l’époque de Balladur sur sa chaise à porteurs, de Mitterrand en danseur hip-hop, de Giscard et de son catogan. Des accords d’Oslo aussi, des premières tensions dans les banlieues, de la famine en Somalie. Autant de situations croquées en quelques traits et immédiatement compréhensibles pour un collégien – d’ailleurs assez ahuri d’apprendre que des dessins aussi insolents avaient pu faire la une d’un journal pour les grands ! C’est que Plantu a bien compris qu’un bon croquis vaut mieux qu’un long discours. Avec quelques autres – Cabu, Wolinski, ou Les Guignols de l’info à la télévision –, il a su offrir une éducation politique à plusieurs générations de lecteurs, leur donner à voir le monde dans sa vérité, quitte à la tordre en télescopant deux actualités. Comme ce militant FN, lisant L’Étranger lors du centenaire d’Albert Camus et beuglant : « C’est pas dans l’air du temps ! » Ou cette saillie de François Fillon lors des primaires de 2016, s’exclamant en pleine affaire Nabilla : « Moi, vouloir nuire à Sarko ? Non mais allô quoi ?!! »

Voilà près d’un demi-siècle maintenant que le caricaturiste le plus célèbre de France promène sur le monde son regard azur d’éternel ado, tour à tour inquiet, goguenard, indigné, vengeur. Lui qui rêvait de dessiner des petits mickeys, comme ses idoles Reiser et Hergé, s’est inventé sa propre souris, témoin silencieux du monde tel qu’il ne va pas. Mais Plantu, lui, ne se tait pas. Depuis son tout premier dessin dans Le Monde en 1972 – la fameuse colombe, s’interrogeant sur une possible paix au Vietnam – jusqu’à l’aventure Cartooning for Peace, il a fait de son crayon une arme contre l’intolérance, la bêtise, les trahisons des clercs. Son nom peut bien s’afficher tous les soirs à la une, il ne s’est pas pour autant rangé du côté des puissants – et ce n’est pas l’exposition que lui consacre la Bibliothèque nationale de France, à partir du 20 mars, qui ferait gonfler son ego ! L’occasion était belle, en revanche, de revisiter en sa compagnie cinquante ans de vie politique, et son petit théâtre du quotidien dont il a rendu les personnages familiers à chacun. Le temps d’un numéro, Plantu a accepté de nous ouvrir ses archives, y compris les plus polémiques. Et de revenir, en creux, sur son idée du dessin de presse, cet espace de liberté de quelques centimètres carrés, encore aujourd’hui menacé. 

 

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