La première fois que je suis apparu sous le trait de Plantu, c’était avec Ségolène Royal en 1988. Il avait représenté le couple que nous formions. C’était pour nous une consécration. N’étant pas mariés officiellement, nous l’étions d’une certaine façon grâce à Plantu. C’était un double choc, notre représentation à la une du Monde. Toute caricature portant sa vérité, ce dessin montrait une situation inédite : deux jeunes parlementaires qui vivaient ensemble et s’engageaient dans la politique avec une présence médiatique affichée – plus de Ségolène Royal que de moi-même à cette époque. L’idée transparaissait que nous étions connus ensemble mais que nous pouvions faire carrière séparément. Puis, au fil du temps, au fil de mes différentes responsabilités comme premier secrétaire du Parti socialiste, au gré des congrès, des querelles, des déchirements comme sur l’Europe, Plantu s’en est donné à cœur joie. Le sourire est devenu une forme de torture ! Dans cette période, il me représentait toujours rosissant. Non par simple référence à ma couleur politique ou à mon teint, mais à cause des difficultés rencontrées. S’il y a une part de réalité dans la caricature, elle change avec la fonction exercée, et selon les moments politiques. C’est un bon baromètre. C’est aussi une loupe grossissante.

Je distingue d’ailleurs la représentation physique du caractère censé apparaître dans le dessin. Vous pouvez être blessé, mais il faut avoir suffisamment confiance en soi pour ne pas y être sensible. Sous son crayon j’étais plutôt joufflu, ça ne me choquait pas, j’ai même fait des efforts pour le faire mentir. Plus rude est l’interprétation de votre personnalité car elle a des effets politiques. Le trait impacte l’image. Quand il représentait Mitterrand et son double, Mitterrand I et Mitterrand II, c’était drôle au début, mais à la longue, sur tout un septennat, c’est devenu insupportable. Pour ce qui me concerne, il suggérait une forme de gentillesse. C’est le pire compliment chez un caricaturiste. On aime les méchants, c’est la dureté qui attire. J’ai eu envie de lui dire : « Je ne suis pas celui-là ! » Mais la lutte est inégale. Je pouvais lui opposer un texte, mais rien n’aura autant de force qu’un autre dessin. Il m’est arrivé de fulminer contre des éditoriaux, des articles ou des manchettes. Mais j’avais toujours l’espoir que le lecteur ne les lirait pas… Impossible, en revanche, d’échapper à un dessin. La scène est familière : quand Le Monde arrive à l’Assemblée nationale, c’est Plantu qui est d’abord « lu ». C’est sans effort, un coup d’œil suffit. La force d’une caricature est qu’elle est intelligible par tous. Je me souviens d’un dessin de Plantu sur Florange. Il s’est inspiré du discours du syndicaliste Édouard Martin pour laisser penser que je les avais trahis. C’était faux. Mais le mal était fait ! Mais, attention, à vouloir se démarquer de sa caricature, on finit par lui ressembler.

Pendant mon mandat de président de la République, Plantu a souvent moqué ma normalité, m’installant ainsi au volant de ma « pépère mobile »… Je l’avais revendiquée. Il était légitime qu’elle me soit opposée, y compris dans cette version automobile. Quand la caricature part de ce qu’on a prétendu être soi-même, on doit l’accepter. Quand il me faisait figurer avec une petite goutte d’eau ou de sueur, je ne le prenais pas mal, car j’incarnais celui qui se démène, qui fait un effort. Et ce détail correspondait à la situation : on se débattait pour redresser la France. 

En accompagnant Plantu à Molenbeek à l’automne dernier, je me suis trouvé devant des jeunes de confession musulmane susceptibles de s’insurger contre des caricatures fustigeant les dérives de leur religion. Je leur ai dit que si quelqu’un pouvait leur parler avec sincérité et expérience de ce que peut provoquer une caricature, c’était moi. J’ai décrit cette réalité : Plantu est d’abord féroce à l’égard des puissants. Ce sont eux qui sont mis à nu. Plantu ne fait pas de distinctions entre les pouvoirs et surtout les abus qui sont faits en leur nom. Ses dessins m’ont souvent convaincu. Ils signent une situation, une période. En particulier sur les guerres, qui n’existent pas sans les massacreurs, en Syrie aujourd’hui comme hier en Bosnie. Là encore, le dessin prend tout son sens. Il rompt l’indifférence. La caricature a cette vertu de mettre le lecteur dans l’obligation de ne plus détourner les yeux. Elle nous prend à témoin. 

Ce qui est difficile à vivre au bout du compte, c’est moins un dessin que sa répétition. C’est le détail qui, mille fois rappelé, devient le gros du trait. Nicolas Sarkozy entouré de mouches, Édouard Balladur avec sa chaise à porteurs. Un dessin caractérise des personnages. Parfois, je plaignais les victimes en pensant que mon tour ne viendrait pas… Il est arrivé avec les responsabilités. C’est la rançon de la victoire. Vous m’avez offert une sorte de droit de réponse à Plantu. Je peux le croquer à mon tour, disons le mordiller. 

Conversation avec ÉRIC FOTTORINO

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