Commençons par de Gaulle, même si vous ne l’avez pas connu.

Mais si ! Quand j’étais au lycée Henri-IV à Paris, on nous avait distribué des petits drapeaux bleu-blanc-rouge pour les agiter sur le passage du général et de Gustave de Suède. Il passait, je l’ai vu ! J’aurais aimé être petite souris à l’époque. J’aurais aimé être là pour écouter. Il est facile à dessiner. Un général, c’est un képi. Je lui fais d’abord les rides, les sourcils, le tarin et les grandes oreilles. Et un, deux, trois mentons. Voilà, on ajoute des petits bras et les deux étoiles, des points de barbe sur la moustache, pas trop, et c’est fait.

À quelle occasion avez-vous rencontré Pompidou ?

Je l’ai vu à l’enterrement de François Mauriac. Et le 8 mai 1970 ou 1971, j’étais place de l’Étoile. Pompidou a fait le tour de l’Arc de Triomphe en voiture pour saluer la foule et personne ne l’a applaudi. J’ai alors pu observer un monsieur triste de voir que personne ne réagissait. Lui aussi est très facile à croquer. Je commence par ses cheveux. À l’arrière, ils donnaient l’impression d’être mouillés, comme s’il sortait de sa douche. Et puis le tarin proéminent, la lèvre supérieure qui avance. Hop, on ajoute de la corpulence, les gros sourcils et la cigarette qui pend. Voilà !

Avec Giscard d’Estaing, le président réformateur des débuts se mue en monarque. Comment avez-vous accompagné cette évolution ?

J’ai commencé par un trait fin parce qu’il était svelte, jeune. Je lui faisais un tout petit nez et une bouche en cul de poule. Et, allez savoir pourquoi, un cheveu qui part en l’air sur son crâne, comme une clé de sol ! Il fallait faire sentir sa petite musique, ce petit bruit de bouche genre pfoff qu’imitait très bien Thierry Le Luron. Et puis mon Giscard évolue ensuite avec un côté assez aristo. Je le fais Louis XV, affublé d’un mini-catogan. À la fin, mon personnage est devenu de plus en plus chinois. Quand il plissait les yeux, on avait l’impression qu’il était en relation directe avec Confucius ou Lao Tseu ! On connaissait son intérêt pour la Chine, mais on ne pouvait pas se douter qu’il apprendrait le mandarin.

Avant qu’il ne devienne président, votre Mitterrand était assez irascible, hargneux.

C’était un Dieu pour moi, mais un Dieu qui fait la gueule. Je le dessinais avec les yeux fermés, une petite bosse sur le nez, des rouflaquettes et une verrue. Je n’y peux rien, il avait une verrue. Un jour, le directeur du Monde, Jacques Fauvet, m’a interdit de verrue. Pendant dix ans ! Il m’a dit : « Mitterrand c’est la gauche, la gauche c’est l’espoir, l’espoir n’a pas de verrue ! » 

Comment l’avez-vous dessiné en tant que président ?

Au début, j’ai beaucoup ramé. Et puis c’est devenu mon petit Mitterrand à moi. Je l’ai dédoublé : il y avait deux Mitterrand sur le même dessin, le Mitterrand I d’avant la rigueur, et le Mitterrand II d’après la rigueur. En fait, j’étais jeune, je découvrais la politique. 1983, c’est pour moi la révélation de la duplicité en politique. On explique à tout le monde que Raymond Barre est un imbécile et on finit par appliquer sa politique. On ne me fait pas ça !

C’est là que je redeviens citoyen. Je suis un citoyen qui voit en images. J’ai fini par le dessiner en président hip-hop. 

Comment avez-vous croqué Jacques Chirac, qui lui aussi a évolué ?

Je suis passé de « Facho Chirac » au vieux papy sympa. Au début, tout le monde voulait absolument me démontrer qu’il était très sympa… Un jour, Bernadette Chirac m’a rattrapé pour me glisser : « Il est gentil ! » Je n’y arrivais pas ! Je lui ai rajouté des lunettes quand il n’en mettait pas encore en public. Un dessinateur, il fait ce qu’il veut ! C’est ça qui est bien. Je lui faisais des yeux gnark, gnark, les dents qui rayent le parquet. Il m’a écrit pour me dire qu’il aimait beaucoup mes dessins, mais qu’ils seraient encore plus ressemblants s’il n’y avait pas la petite goutte sur le menton. 

Quand il est devenu président, je lui ai mis un drapeau tricolore sur la tête pour bien me persuader qu’il l’était. Puis je lui ai glissé une baguette magique entre les mains. Un dessin, c’est beaucoup de choses intuitives.

Vous n’avez pas été tendre avec Sarkozy. Êtes-vous un dessinateur sadique ?

Récemment, François Hollande a dit que je l’avais torturé. Alors, qu’est-ce que pourrait bien dire Sarko ! 

Vous l’avez aplati comme une gaufre.

C’est vrai. Je le dessinais à la règle ! Je lui faisais aussi des oreilles pointues, des oreilles de Spock, la série télé spatiale. Toujours énervé. Lui aussi gnark, gnark… Bien sûr le crâne aplati. Tu rajoutes deux pieds et c’est fini. Tu peux le dessiner en n’importe quoi, en bretelle d’autoroute, en tasse de thé, en épuisette, en étui à lunettes, ça le fait. C’est un cadeau. De face, de profil, de dos, il est fait pour moi. Avec lui, mes dessins ne sont plus des caricatures mais des portraits, tellement il se caricature lui-même. Le vrai Sarko, ce sont mes dessins !

Pourquoi ces mouches qui virevoltent autour de lui ?

En août, il déclare quelque chose du genre : moi, je parle avec mes tripes. Alors j’ai mis des mouches. Il m’a fait déposer une lettre par des motards pour me dire que les mouches, c’était plutôt Le Pen, pas lui !

Avez-vous quand même eu un instant de faiblesse ?

Oui, quand il est parti. J’ai fait un dessin tendre parce qu’il a quitté le pouvoir avec beaucoup d’élégance. Son discours était magnifique. Il a été génial ce jour-là.

Comment cela s’est passé avec François Hollande ?

À chaque fois que je l’ai rencontré, il a été charmant. Et à chaque fois, je me demandais : mais il regarde mes dessins ? C’est une énigme. Il est multiple, complexe, c’est sûr. Je ne comprends pas sa psychologie. Tant qu’il a été à l’Élysée, il ne s’est jamais plaint de mes dessins. Je l’ai dessiné en Spirou, en Snoopy, en Bécassine, là il est très ressemblant ! C’est un petit monsieur de Sempé en noir et blanc. Je le croque très joufflu. C’est comme un coucher de soleil, les joues, les lunettes et, hop, le petit concombre. Tout ça pour ne pas dire cornichon…

Vous avez eu davantage de mal à attraper le nouveau président. Pourquoi ?

Emmanuel Macron est beau, jeune et sourit tout le temps. Ce n’est pas un cadeau pour un caricaturiste ! J’ai tâtonné. Je lui ai fait des yeux pétillants : ça n’a pas marché. En fait, il faut lui faire une grosse tête, pas un grand front. Ensuite, très important, sur le front, quelque chose de Napoléon : un friselis de cheveux mars 1815 ! Et puis les pattes, le côté Rastignac. Mais, en fait, on ne sait pas qui il est. Je lui fais des yeux vides et des sourcils un peu à la Mitterrand.

En même temps, vous le tirez de plus en plus vers un Tintin portant des pantalons de golf.

Je lui fais maintenant des shorts. Je lui donne une allure de gamin. Et là, pof, un nez à la Pinocchio en pensant à sa petite phrase sur le « zéro SDF ».

Vous ne vous lassez pas de les dessiner ?

Jamais ! Ils m’épatent tous. J’ai beaucoup d’admiration pour leur intelligence et il faut tout de même reconnaître qu’ils s’en prennent plein la gueule tout le temps. 

Propos recueillis par ÉRIC FOTTORINO et LAURENT GREILSAMER

 

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