Après la fin des paysans annoncée en 1967 par le sociologue Henri Mendras, vivons-nous la fin des agriculteurs ? La question se pose au moment où, de l’Ukraine à l’Amérique latine en passant par l’Asie et l’Afrique, émerge un nouveau modèle de fermes relevant de l’économie de firme. C’est un fait : l’agriculture mondiale n’échappe pas à la financiarisation qui a gagné le reste de l’économie. De nombreux pays font appel à des capitaux extérieurs au monde agricole pour mettre en valeur leurs terres et les ressources qu’ils y puisent. Avec ce paradoxe que plus les richesses tirées de cette activité augmentent, plus les populations s’en trouvent paupérisées. L’agriculture devient alors étrangère à toute notion d’exploitation familiale, avec ce qu’elle comprend d’enracinement dans le temps et dans l’espace, à travers des générations d’agriculteurs qui, de père en fils essentiellement, se sont transmis un patrimoine assorti de savoir-faire. L’agriculture de firme, finance oblige, est très mobile : les capitaux peuvent y entrer et repartir comme ils sont venus, en fonction des aléas du marché. La main-d’œuvre – on ne parle plus d’agriculteurs – est mobile elle aussi, selon les besoins du moment et l’arbitrage des coûts.

Ce qui est vrai dans le cône sud de l’Amérique latine ou en Europe centrale n’est certes pas la réalité française. Pas encore. Déjà les signaux se multiplient d’approches industrielles et financières d’une agriculture sans agriculteurs. Si le président de la FNSEA Xavier Beulin répète que son modèle n’est pas celui-là, la céréaliculture du Bassin parisien adopte déjà des formes intermédiaires où réapparaît la rente foncière, un concept financier bien éloigné de la valeur travail. En clair, des exploitants gardent la propriété de leurs terres et leur statut pour empocher les aides de Bruxelles, tout en confiant à façon le labeur des champs à des entreprises spécialisées. Une sous-traitance hier étrangère à cet univers longtemps à dominante familiale. On voit encore de grandes exploitations se réunir pour s’agrandir, pratiquer la rotation des assolements à plus grande échelle, et déléguer l’exécution des travaux à des sociétés filiales ou tierces. Autant de signes annonciateurs d’un monde agricole en proie à des contradictions qu’il lui faut lever. Gagner en compétitivité suppose un changement d’échelle. Comment croître sans abandonner le modèle familial ? Comment faire appel à des capitaux extérieurs et garder la maîtrise de son exploitation ? L’agriculture française est à la veille de ces choix douloureux que lui imposent le marché mondial comme ses concurrents immédiats, à commencer par son voisin allemand. 

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