Serions-nous revenus au temps de Balzac ? Dans une longue tirade de son roman Le Père Goriot, l’écrivain fait de Vautrin, personnage roublard et central de la Comédie humaine, le contempteur d’une société injuste, où le travail ne sert guère à s’enrichir. Au jeune et ambitieux Rastignac, il conseille plutôt, pour se faire une place dans le monde, d’épouser une riche héritière comme Victorine Taillefer. « Le travail, compris comme vous le comprenez en ce moment, donne, dans les vieux jours, un appartement chez maman Vauquer. »

Près de deux siècles plus tard, la France a de nouveau des airs de société d’héritiers, voire de rentiers. D’après une étude du Conseil d’analyse économique, la part de la fortune héritée grimpe aujourd’hui à 60 % du patrimoine total, contre 35 % dans les années 1970. Autrement dit, là où auparavant on pouvait se constituer un pécule par la seule force de son travail, il faut désormais en passer majoritairement par l’argent de ses parents – avec la part évidente d’injustice que cela peut représenter. Car, bien sûr, hériter n’est pas mériter. Sept des neuf plus grandes fortunes françaises actuelles sont des « super-héritiers », membres de ces 0,1 % les plus fortunés qui reçoivent 13 millions d’euros en moyenne – mais ne paient que 10 % de droits de succession, grâce à d’habiles montages pour échapper à l’impôt. Dans un pays qui dit prôner l’effort et l’égalité des chances, une telle situation laisse songeur, et rappelle à quel point cet impôt, le plus impopulaire de tous, reste généralement mal connu et mal compris…

Sommes-nous absolument définis par ce que nous transmettent nos proches ? 

Bien évidemment, l’héritage que nous recevons n’est pas seulement financier. Nous devons également à nos parents un patrimoine génétique, un bagage culturel, un certain langage de la vie – parfois quelques traumatismes aussi, que nous ne méritons pas davantage que la fortune, et avec lesquels il faut bien composer. Autant de graines semées qui finissent, à force d’être arrosées par les années, par faire fleurir notre destinée… Sommes-nous, pour autant, absolument définis par ce que nous transmettent nos proches ? Peut-on échapper à ce déterminisme ? Et comment l’héritage évolue-t-il dans un monde de plus en plus mouvant, où les structures familiales se multiplient aussi vite que les modèles culturels ? Ce numéro du 1 hebdo se penche sur les multiples visages de l’héritage, pour mieux en comprendre les mécanismes intimes et sociaux, mais aussi les voies pour le reconnaître, le protéger ou, si besoin, s’en émanciper. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !