Des sociétés ouvertes, tolérantes, caractérisées par l’égalité entre les sexes et les classes. Des sociétés éclairées, éduquées, dont les conflits se résolvent en bonne intelligence et ne débouchent jamais sur une impasse. Des sociétés sans corruption, marquées du sceau de la confiance et de la proximité démocratique. C’est ainsi que le monde qui nous entoure considère les États-providence scandinaves. Nous sommes devenus des modèles que l’on envie. L’utopie est étymologiquement nulle part, mais s’il fallait la situer géographiquement, elle se trouverait en Scandinavie. Les autres pays voudraient être comme nous. Francis Fukuyama le dit. Bernie Sanders le dit. Et lorsqu’ils prononcent le nom du Danemark, cela sonne comme une déclaration d’amour. 

À y regarder de plus près, qu’en est-il vraiment ?

Les trois États-providence scandinaves, la Norvège, la Suède et le Danemark, combinent une série de données historiques uniques. Un mouvement ouvrier fort, une paysannerie jamais tentée par les solutions autoritaires, une classe intellectuelle partisane déclarée de la démocratie. 

Mais la géographie joue également un rôle important. La Scandinavie est à la périphérie de l’Europe. Nous n’avons jamais été un champ de bataille lors des guerres mondiales. Nous n’avons même pas pris part à la première. Pendant la seconde, le Danemark et la Norvège ont été envahis par l’Allemagne mais sont globalement sortis indemnes d’une guerre qui a ravagé très durement le reste de l’Europe. Pas de ruines, ni de famine, ni d’exode des populations. Rescapés de l’histoire, nous avons créé l’État-providence. Conscient de notre situation périphérique et de notre taille modeste, nous n’avons pas gaspillé nos ressources en armements militaires. Nous nous sommes réarmés autrement, nous sommes devenus des superpuissances morales. 

Des populations réduites, ethniquement homogènes, rendent hideusement visible toute différence sociale et consolident l’idée égalitaire. Le génie éthique protestant plaçant le travail au-dessus de toute autre vertu, une fortune trop manifeste est par avance suspecte. Enfin, un sentiment de supériorité morale entraîne le rejet de toute influence étrangère perçue comme corrompue et indigne. La personnalité scandinave est marquée par un paradoxe : modeste, sans charme, presque anonyme dans son apparence, le Scandinave est en même temps victime de la folie des grandeurs. 

La Norvège n’est pas membre de l’Union européenne, mais c’est une planète en soi. La Suède ne fait pas partie de l’OTAN, mais pointe ses armes dans toutes les directions, libre de toute alliance, autosuffisante. Si le Danemark est membre à la fois de l’Union européenne et de l’OTAN, il l’est à sa manière : rebelle, plein d’une réserve exaspérée envers l’Union européenne, de la politique de défense à l’euro en passant par la coopération policière transfrontalière, ce membre récalcitrant ne voit Bruxelles que comme l’incarnation d’une bureaucratie monstrueuse et inhumaine.

Les temps ont changé. Aujourd’hui, face à la mondialisation et au néolibéralisme, les États-providence scandinaves se battent pour leur survie. Des décennies de privatisation d’importants services publics les ont depuis longtemps affaiblis. Un gouvernement dirigé par les sociaux-démocrates a même annoncé la mort de l’État-providence et le passage à un État-concurrence dont la mission n’est plus désormais de contrôler et de réguler le marché, mais de le servir de manière volontaire.

Dans les trois pays scandinaves, le populisme de droite est puissant. En Norvège, le soi-disant Parti du progrès participe au gouvernement depuis sept ans, au prix, certes, d’un recul de sa base électorale. En Suède, les Démocrates de Suède sont boycottés par les autres formations politiques, mais le prix est lourd pour les partis de la droite et du centre qui auraient pu gagner les élections législatives en s’alliant avec l’extrême droite, et se voient aujourd’hui marginalisés. Ce n’est probablement qu’une question de temps avant qu’ils n’empruntent le même chemin que leurs homologues danois, et tendent la main aux extrémistes. 

Le Danemark est à l’avant-garde dans ce contexte européen. Le Parti populaire danois, dont la seule constante du programme est une violente opposition aux étrangers, fêtera bientôt ses 25 ans et aura, pendant l’essentiel de ses années d’existence, exercé une influence décisive sur la politique danoise en tant qu’allié des différents gouvernements du royaume. L’intelligence tactique de ce parti a été de ne jamais prendre part aux gouvernements qu’il a soutenus, jouant a contrario un rôle très subtil d’outsider radical jamais compromis, jouissant de toute son influence sans jamais prendre ses responsabilités. 

Dans une Europe où les partis socialistes sont en crise, quand ils n’ont pas complètement disparu, la social-démocratie danoise est toujours debout, mais elle ne le doit qu’à une alliance opportuniste avec l’extrême droite. 

Pour le monde qui voit la Scandinavie comme un modèle, il n’y a que de mauvaises nouvelles. Le temps de l’État-providence est derrière nous. Le Danemark, la Norvège et la Suède s’inscrivent de plus en plus dans le courant populiste dominant. 

 

Traduit du danois par NILS AHL

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